Huis clos sous pression
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Un prénom féminin pour cette courte, très courte pièce de Jon Fosse. Violente, très violente et observée comme à la loupe… Terrifiant. Et qui révèle un jeune metteur en scène très personnel.
Comme souvent chez Jon Fosse, les situations sont nues. Une brusque tension surgit, que rien n’avait laissé prévoir, entre des personnages sans histoire, dont les ressorts sont à peine suggérés. La montée dramatique semble se dérouler inexorablement pour son seul bénéfice.
Le jeune metteur en scène Mathieu Gerin avait déjà dans Maladie de la jeunesse plongé des garçons et des filles de son âge, à peine sortis de l’adolescence, dans la brutalité du monde. Sa route devait croiser un jour celle de Jon Fosse. Dans Violet, de nouveau, il regarde un groupe de jeunes gens vivre une situation d’intense violence, sans raison, en souffrir et ne rien pouvoir y changer : victoire de l’impuissance, désarroi, fin de l’histoire.
Le prétexte est mince : un guitariste amène sa petite amie dans une cave au sous‑sol d’une usine désaffectée où il répète (ou plutôt s’entraîne, car les musiciens sont assez minables…) avec des copains. Les autres ne sont pas encore arrivés, mais déjà la fille a peur de ce lieu dont elle reçoit de plein fouet l’absence d’humanité : un piège. Elle s’enfuit. Entre un deuxième garçon, le « batteur » du groupe. La tension monte d’un cran, il ferme la porte à clé. La tension ne va dès lors que croître et l’arrivée des deux autres membres de l’orchestre na va rien arranger, malgré leur apparente désapprobation. Le jeune guitariste qui aime égrener des notes douces et mélodieuses va, au propre comme au figuré, se faire démolir par le batteur sous le regard impuissant des deux autres. Puis ils s’en vont, la jeune fille revient… Sinistre happy end. Pendant les quarante minutes qu’aura duré le spectacle, deux jeunes filles au premier rang, imperturbables, filment la scène…
Brutal et terrifiant
Mathieu Gerin a pris le parti d’enfermer ses acteurs dans un bocal dont nous sommes séparés par une vitre qui, au départ, ne nous renvoie que notre image. Un studio d’enregistrement aux murs blancs, comme capitonnés, évoque d’autres cellules matelassées… Le blanc est si lumineux qu’il en est aveuglant, participant à la violence de l’ensemble : ni ombre, ni sortie, ni douceur, ni nuance. Les sons nous parviennent déformés, amplifiés ou brouillés, rendant les paroles stridentes, chargées d’agressivité, puis inaudibles, en tout cas incompréhensibles.
Le plus intéressant est sans doute la position dans laquelle Mathieu Gerin met les spectateurs : voyeurs malgré eux et pourtant protégés, séparés par ce mur de verre. Non content de déformer le son, d’agresser nos yeux, il tord aussi le temps : ayant choisi une forme courte de moins d’une heure, il se paie le luxe d’un arrêt sur image qui semble durer une éternité sur le jeune guitariste brutalisé qui nous regarde, nous regarde, nous regarde encore tandis que son tortionnaire et les deux témoins passifs sont frappés d’immobilité. On ne ressent ni pitié ni empathie pour ces pauvres gosses tour à tour victimes, complices ou bourreaux, seulement de l’effroi devant ce qu’ils vivent et qui prend valeur de fable, de prophétie, de regard sans concession sur le monde. Les cinq jeunes comédiens sont constamment justes, troublants de vérité. C’est, on l’aura compris, un spectacle brutal et fort, aussi violent dans sa forme que dans ce qu’il montre du monde où vivent de tout jeunes gens à peine sortis de l’enfance. ¶
Trina Mounier
Violet, de Jon Fosse
Traduction : Terje Sinding
L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté
Mise en scène : Mathieu Gerin
Avec : Jean‑Rémi Chaize, Félicien Chauveau, Annabelle Hettmann, Louka Petit‑Taborelli, Mathieu Quintin
Collaboration artistique : Daphné Mauger
Création sonore : Matthieu Gagelin
Son : Loïs Douglazet
Scénographie : Charles Boinot
Lumière : Franck Thévenon
Régie générale : Elvire Tapie
Photos : © Manon Valentin
Administration / diffusion : Fanélie Jocteur‑Monrozier
Production : Le Chœur des fous
Coréalisation théâtre de l’Élysée, scène conventionnée de Lyon
En partenariat avec l’Énsatt
L’Élysée • 14, rue Basse‑Combalot • 69007 Lyon
04 78 58 88 25
Du 12 au 14 décembre et du 16 au 20 décembre 2013 à 19 h 30
Tarifs : 10 € et 12 €, carte 2D : 16 €, carte 4D : 30 €