« Vivant », d’Annie Zadek, Studio-Théâtre de la Comédie-Française à Paris

Vivant © Cosimo Mirco Magliocca

« Tout est intéressant, mais rien n’est nécessaire »

Par Estelle Gapp
Les Trois Coups

Après le désopilant « Éloge du poil » au Théâtre de la Bastille, Pierre Meunier met en scène un nouveau matériau, inédit pour lui : le texte d’un autre auteur contemporain. Avec « Vivant » d’Annie Zadek, il explore les méandres existentiels d’un vieil écrivain à l’agonie. Si l’esthétique fin de siècle enferme le propos dans un trompe-l’œil trop classique et trop illustratif, on retrouve avec bonheur l’ingéniosité et la fantaisie du metteur en scène, machiniste virtuose.

Ce pourrait être Tolstoï, à l’agonie sur un quai de gare. Elle pourrait être sa fille, avec qui il a pris la fuite. Ou encore sa mère, sa femme, sa maîtresse, sa nièce… Paradoxalement, malgré sa présence physique et muette sur le plateau, on dirait que le personnage féminin est ailleurs, dans une autre vie. Fantôme ou fantasme ? Comme Pierre Meunier nous le confirme (si besoin était) lors du débat qui suit la représentation, Julie Sicard est enceinte jusqu’aux yeux. Ce n’était pas prévu au programme, mais, d’emblée, son ventre rebondi ajoute à la détresse du personnage d’Hervé Pierre, touchant d’humilité et d’orgueil blessé. On regrette seulement que la grossesse de la comédienne ne fasse pas partie du « jeu ». On aurait aimé surprendre le vieil écrivain en train de caresser le ventre de la jeune femme (comme il lui caresse la jambe, dans un geste fugace). On aurait aimé lire dans son regard le désarroi de celui à qui la vie se dérobe, pour s’incarner dans un petit être.

Entre l’usage classique des toiles peintes, qui accentue la convention théâtrale, et le traitement en rupture de ce personnage féminin, le contraste est dérangeant. On devine deux époques distinctes, deux « temps » qui se bousculent dans le même espace, l’un condamnant le vieil homme au passé, à la mort, l’autre projetant la jeune femme vers l’avenir. D’une part, la lenteur : l’ennui d’une fin de vie. De l’autre, un rythme qui s’accélère, où se succèdent les modes : un pardessus noir des années 1930, une robe fleurie des années 1950, une robe en élasthanne des années 2000. Son futur à elle rejoint notre présent : pour preuve ce sandwich, qu’on croirait acheté au snack de la gare, qu’elle mange là, sur scène. Cependant, ce parti pris réaliste tranche avec l’image d’Épinal qui ouvrait la pièce, où la comédienne semblait incarner une vieille femme assoupie sur son fauteuil. Les âges et les périodes se bousculent, on perd le fil.

Mais, au-delà du risque d’anachronisme, Pierre Meunier n’en finit pas de nous étonner. Fidèle à son amour des matériaux, des mécanismes et autres ressorts dramatiques, il conçoit un ingénieux dispositif scénique : des tentures tendues comme des peaux, une charpente en bois, oblique, qui dévoile peu à peu son squelette. Lorsque des marionnettes viennent peupler la solitude de l’écrivain, lorsque les murs se rapprochent dangereusement comme les parois d’un cercueil, on retrouve avec bonheur l’univers fantaisiste du metteur en scène. S’il n’y a pas de machine sur scène, Pierre Meunier use d’une nouvelle ruse, très réussie : la bande-son, réalisée par Alain Mahé, évoque à merveille le passage des trains. On croit voir les murs trembler ! Régulièrement, le bruit couvre la voix du comédien, le réduit un instant au silence, accentue son désespoir.

À la fois moribond, colérique et égrillard, le personnage incarné par Hervé Pierre donne à entendre les mille contradictions de l’âme humaine : « Je n’étais pas original. Je n’étais pas différent […] Je suis vantard, goinfre, douillet, affecté, meneur, apathique, trop sûr de moi, voluptueux, instable, indécis, inquiet ». Écrivain à l’agonie, il règle ses comptes avec le milieu littéraire : « Je disais : il y a trop de livres […] Tout est intéressant, mais rien n’est nécessaire. Il faut arrêter d’écrire. Il faut agir. Fendre du bois […] Mieux vaut le travail manuel que le ni-ceci ni-cela avec mes amis écrivains ». Cependant, au-delà de cette revendication, le propos d’Annie Zadek perd de sa pertinence : ni historique, ni biographique, ni philosophique, ni politique, le texte emprunte d’étranges méandres. Malgré une belle profession de foi du comédien – « Ma vie, ma respiration, ma douleur : matériaux » –, on a hâte que Pierre Meunier revienne à son propre « matériau » : à quand le retour du fantasque et facétieux Professeur Fliegenstein ? 

Estelle Gapp


Vivant, d’Annie Zadek

Mise en scène : Pierre Meunier

Avec : Julie Sicard, Hervé Pierre

Scénographie, toiles peintes et costumes : Catherine Rankl

Son : Alain Mahé

Lumières : Thierry Opigez

Photo : © Cosimo Mirco Magliocca

Studio-Théâtre de la Comédie-Française • galerie du Carrousel du Louvre • 99, rue de Rivoli • 75001 Paris

Réservations : 01 44 58 98 58

Du 28 mai au 28 juin 2009, du mercredi au dimanche à 18 h 30

Durée : 1 heure

17 € | 8 €

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