« War Sweet War », de Jean Lambert‑Wild, Stéphane Blanquet, Jean‑Luc Therminarias et Juha Marsalo, les Célestins à Lyon

« War Sweet War » © Rristan Jeanne Valès

Noir c’est noir

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Programmé par le Théâtre les Ateliers, les Célestins accueillent « War Sweet War », un spectacle de Jean Lambert-Wild, Stéphane Blanquet, Jean‑Luc Therminarias et Juha Marsalo. Une froide rave party au pays des zombies.

Pendant cinquante-cinq minutes, avec pour seules paroles celles d’une voix off qui ponctue le déroulement fatal du temps, tout est uniformément prétexte à l’excès. Imaginez rassemblées les scènes les plus violentes d’un pot-pourri antique et shakespearien qui cumulerait Médée, Jocaste, Richard III, Lady Macbeth, Troïlus et Cressida, et j’en passe. La scénographie, la musique et la chorégraphie soudées à la mise en scène pilonnent la représentation comme une vague meurtrière de bombardiers s’abattant sur Londres ou Dresde. Le tout au service d’un contenu de fait-divers : deux couples gémellaires, l’un encore en vie, l’autre déjà mort, assassinent leurs enfants, ou l’ont déjà fait, puis se suicident, ou ressuscitent, après leur geste funeste. Suit une série de séquences où progressivement fusionnent monde des vivants et des revenants pour aboutir à une sorte d’apocalypse du quotidien. Trop, c’est trop. Et malgré l’indiscutable réussite de l’architecture scénographique de Stéphane Blanquet et la puissante interprétation des quatre danseurs fond sur le public la sensation d’être indifférent à l’exécution d’une partition mécanique qui annihile toute émotion. Et puis s’infiltre très rapidement comme un poison le sentiment d’assister à un spectacle, certes total – conjugaison de tous les arts de la scène à l’exception de la vidéo –, qu’on finit par trouver totalitaire. C’est que, Jean Lambert-Wild l’a-t-il oublié, le spectateur lambda que je suis a une mémoire qui parfois l’envahit au point d’accompagner sans répit sa réception de l’œuvre.

Dans la nuit du 1er mai 1945, Joseph et Magda Goebbels, réfugiés dans le bunker d’Hitler à Berlin, tuent leurs six enfants puis se donnent la mort. Gestes terrifiants reconstitués par le réalisateur allemand Oliver Hirschbiegel dans son film la Chute. Impossibles à évacuer, les images de Magda Goebbels introduisant dans la bouche de ses garçons et filles endormis les capsules de cyanure. Impossible à évacuer le bruit des mâchoires qu’elle comprime pour s’assurer que le poison mortel se répand. Je sais que comparaison n’est pas raison, et tout débat sur la primauté du langage cinématographique sur celui du théâtre serait vain. Mais la vérité est que je suis resté constamment à distance de War Sweet War qui tente désespérément de transposer les horreurs de la guerre en en faisant le leitmotiv tragique de nos rapports les plus intimes. Parfois redondants, la plupart des signes corporels, musicaux et esthétiques utilisés sont appuyés à l’extrême. Les performeurs n’explorent que convulsions, saccades et projections violentes. La musique, régie en direct, souvent binaire, alterne systématiquement plages en nappes lourdes et ponctuations brutales. Les couleurs, en plus d’une opposition primaire entre le blanc et le noir, s’affrontent par touches de bleu, de jaune et de rouge criardes. Le cumul de tous ces éléments est asséné sans pour autant venir à bout de ma résistance à entrer dans le jeu.

Je suis donc sorti perplexe de cette première rencontre avec le travail théâtral de Jean Lambert-Wild et de son équipe artistique. Un peu à l’image des quatre généreux interprètes, je me suis senti englué dans l’épaisse encre noire qui dégouline sur les corps, les murs et les objets. Tel un oiseau mazouté par le pétrole d’une catastrophe écologique, j’ai éprouvé le besoin de me laver d’un propos, certes ambitieux, mais combien réducteur, par rapport aux souvenirs tragiques de ma mémoire. 

Michel Dieuaide


War Sweet War, de Jean Lambert-Wild, Stéphane Blanquet, Jean‑Luc Therminarias et Juha Marsalo

Interprètes : Olga et Elena Budaeva, Pierre et Charles Pietri

Direction : Jean Lambert-Wild

Musique électronique, synthétiseurs et spatialisation en direct : Jean‑Luc Therminarias

Dramaturgie : Jean Lambert-Wild et Hervé Blutsch

Chorégraphie : Juha Marsalo

Lumière : Renaud Lagier

Percussions : Jean-François Oliver

Costumes : Annick Serret

Accessoiriste : Olive

Scénographie : Jean Lambert-Wild et Stéphane Blanquet

Assistant à la scénographie : Thierry Varenne

Son : Christophe Farion

Interface sonore : Luccio Stiz et Léopold Frey

Régie générale : Claire Seguin

Décor construit par les ateliers de la Comédie de Caen sous la direction de Benoît Gondouin

Photographies : Tristan Jeanne-Valès

Production déléguée : Théâtre de l’Union, centre dramatique national du Limousin

Coproduction : Comédie de Caen, centre dramatique national de Normandie

Les Célestins • place des Célestins • 69002 Lyon

http://www.celestins-lyon.org

Tél. 04 72 77 40 00

Courriel : billetterie@celestins-lyon.org

Représentations : 2, 3, 4, 5 et 6 juin 2015 à 20 heures

Durée : 1 heure

Tarifs : de 35 € à 9 €

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