« 32, rue Vandenbranden », de Peeping Tom, le Monfort à Paris

32, rue Vandenbranden © Herman Sorgeloos

Solitudes polaires

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Entre théâtre et chorégraphie, Peeping Tom entame, avec « 32, rue Vandenbranden », une danse macabre loin d’éclairer la face sombre des relations humaines. Un spectacle dérangeant présenté dans le cadre de Paris quartier d’été.

Complètement givrés ces Flamands ! Une scène recouverte de neige en plein été… On plaint les acteurs qui déboulent en fourrure, mais c’est ennuyeux comme la pluie alors que cela promettait d’être au moins rafraîchissant, car la majorité des critiques se pâme. Alors pas question de faire une critique tiède.

Depuis une vingtaine d’année, la scène belge est à la mode, les Flamands contribuant au renouvellement des formes. À l’instar de tg STAN, Peeping Tom fait partie des compagnies qui cherchent à faire entrer la vie réelle sur le plateau d’une nouvelle manière. Là, le mode choisi est tantôt quotidien, tantôt fantastique. Sur le fil.

Après avoir exploré les recoins cachés d’une maison et de ses habitants (le Jardin, le Salon, le Sous‑sol), la compagnie continue de fouiller l’inconscient, mais cette fois‑ci en plongeant au cœur d’un village. Pour leur dernière pièce, 32 rue Vandenbranden, Gabriela Carrizo et Franck Chartier ont puisé leur inspiration dans un film de Shohei Imamura : The Ballad of Narayama (Palme d’or du Festival de Cannes, 1983) raconte la coutume d’un coin reculé du Japon, vers 1860, où les habitants âgés de 70 ans se retiraient volontairement au sommet d’une montagne. Là où, selon eux, se rassemblaient les âmes des morts, il s’y laissaient mourir en paix, sans être un fardeau pour les autres.

Difficile d’entrer dans le monde « barré » de Peeping Tom, cette épaisseur du réel qui vous colle à la peau sans jamais vous procurer l’émotion d’une caresse ou le stimulus du poil à gratter. Entre ces baraques ensevelies sous la neige vivent de drôles d’individus, d’âge et de nationalité différents qui enchaînent étreintes et séparations sans motif apparent, élans lyriques, télescopages, chocs violents. Tous choisissent la femme enceinte comme bouc émissaire : sans doute le symbole de la vie, dont ils cherchent ici à tordre le cou. Les interprètes (une danseuse contorsionniste hollandaise, une Flamande, un Anglais, deux Sud-Coréens, une actrice danseuse espagnole de 81 ans et une mezzo-soprano) se livrent alors à des performances individuelles, sauf que les prestations sont inégales et souvent répétitives.

Tordu

En soi, l’absence d’histoire ne pose pas de problème. À condition de compenser cette carence par un travail dramaturgique conséquent. En effet, mieux vaut dégager des pistes afin que le spectateur puisse tirer les fils et tricoter son paletot. Or, ici, les situations se succèdent sans logique apparente. Hors du temps, loin du monde, au-delà de tous les possibles. Comme dans un rêve, me direz-vous…

Plutôt comme dans un cauchemar, car, dans cette ambiance bien peu sereine, la mort rôde sans cesse. Les situations sont tantôt dramatiques, tantôt absurdes. Des relations s’amorcent entre les personnages, mais sans queue ni tête. Ou plutôt si ! Une femme se tord dans tous les sens, pour être prise par son homme, mais le couple est au bord du gouffre. La compagnie a déjà traité de l’obsession du désir et de la violence conjugale. Quel intérêt ici ? On peine à y voir clair dans ce brouillard de névroses et de fantasmes. Et comme la mise en scène procure l’impression inédite de pénétrer par effraction dans l’espace mental de quelqu’un d’autre, le malaise est palpable. D’ailleurs, en anglais, le nom de cette compagnie signifie « voyeur ». Peeping Tom s’est justement fait connaître en observant des gens ordinaires, ou bizarres, dans leur vie quotidienne. Ici, encore, de nombreuses scènes se déroulent derrière les vitres, en off, ou alors avec des sons saturés, surtout lorsqu’il y a des cris. Cet univers anxiogène est soutenu par l’emploi du thérémine, instrument électronique à la ponctuation inquiétante.

Veut-on nous retourner le cerveau ? Si l’on s’obstine à vouloir trouver du sens à ce spectacle confus, on se dit que ces âmes en perdition, perdues au milieu de nulle part, pourraient bien être dans quelque chose qui se rapprocherait du purgatoire, même si aucune allusion n’est faite à la religion. Et si ses habitations pour le moins précaires étaient le nouveau lieu où le sort des défunts se scellait ? Des fantômes planent, comme cette chanteuse, ange échappé des Ailes du désir de Wim Wenders, qui surplombe la scène. Un des acteurs semble tout droit sorti de Scary Movie. En fait, les drames sont noués : une mère a perdu son bébé (à moins qu’elle ne l’ait tué), un jeune homme est mort d’amour le cœur tout sanguinolent dans ses mains, le couple frôle le crime passionnel… Bref, voilà une antichambre des enfers dont on n’a qu’une envie : fuir. Mais c’est impossible… comme dans les vrais cauchemars. 

Léna Martinelli


32 rue Vandenbranden, de Peeping Tom

Traduction : Tiphaine Samoyault

Adaptation : Jean Torrent

Peeping Tom • rue des Étangs noirs, 97 • 1080 Bruxelles • Belgique

32 2 290 22 07

Site : www.peepingtom.be

Mise en scène : Gabriela Carrizo et Franck Chartier

Avec : Jos Baker, Eurudike De Beul, Marie Gyselbrecht, Hun‑mok Jung, Seoljin Kim, Sabine Molenaar, Maria Otal

Danse et création : Seoljin Kim, Hun‑mok Jung, Marie Gyselbrecht, Jos Baker, Sabine Molenaar, Maria Carolina Vieira, Eurudike De Beul, Madiha Figuigui

Dramaturgie : Nico Leunen, Hildegard De Vuyst

Assistante répétitions : Diane Fourdrignier

Composition sonore : Juan Carlos Tolosa, Glenn Vervlie

Conception des décors : Peeping Tom, Nele Dirckx, Yves Leirs, Frederik Liekens

Conception lumières : Filip Timmerman, Yves Leirs

Costumes : Diane Fourdrignier, Hyo‑jung Janglang

Photo : © Herman Sorgeloos

Le Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris

Dans le cadre de Paris quartier d’été

Réservations : 01 44 94 98 00

Site du théâtre : www.quartierdete.com

Courriel de réservation : paris@quartierdete.com

Du 30 juillet au 7 août 2013, du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 18 heures

Durée : 1 h 20

20 € | 16 € | 7 €

http://www.youtube.com/watch?v=KlrXPVZG5Ho

Tournée :

  • Le 10 août 2013 : Venise
  • Les 1er et 2 novembre 2013 : Séoul

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