« 4.48 Psychose », de Sarah Kane, Paris Villette

« 4.48 Psychose » de Sarah Kane © Nicolas Descôteaux

Entre aube et crépuscule

Par Romain Labrousse
Les Trois Coups

Dans une volonté manifeste de ne pas réduire la pièce à sa dimension testamentaire, Florent Siaud affirme la théâtralité d’un monologue instable.

Le metteur en scène n’a pas oublié que Sarah Kane classait un sex-show vu à Amsterdam parmi les dix meilleurs spectacles qu’elle ait vus : au lieu de l’espace dépouillé ou d’une froideur clinique auquel le spectateur pourrait s’attendre, ce dernier découvre un rideau de scène bleu, fermé, devant lequel est posé un micro sur pied. Il y aura vraisemblablement un numéro, au cours de cette représentation, mais un numéro qui se fait attendre. Car c’est par une discrète entrée à jardin et un long silence que Sophie Cadieux investit son mince espace de jeu.

Les chaussures qu’elle enfile et les lacets qu’elle noue alors seront les seules concessions à la tentation biographique que la pièce ne cesse de susciter depuis sa création. Lorsqu’elle fut montée pour la première fois en 2000, un an et demi après le suicide de son auteur, la dernière des cinq pièces de la sulfureuse dramaturge britannique fut effectivement reçue comme l’annonce de sa pendaison.

« 4.48 Psychose » de Sarah Kane © Nicolas Descôteaux
« 4.48 Psychose » de Sarah Kane © Nicolas Descôteaux

Dès la première phrase « Mais vous avez des amis. Plein d’amis. Qu’est-ce que vous leur apportez pour qu’ils vous offrent leur soutien ? », le pronom « vous », adressé constamment à la salle, confond les médecins, l’être aimé et le public. Le sujet anonyme n’est plus reconnaissable mais son destinataire non plus. La pièce mêle les effets d’éloignement et de proximité dans un rapport scène-salle presque intime rappelant que l’auteur appréciait Brecht, au point de considérer la Vie de Galilée comme « l’une de [ses] pièces préférées » et d’avoir projeté d’adapter Baal.

Lorsque le rideau s’ouvre sur une haute cloison rouge et un mur de filaments, c’est à la fois une intimité qui s’offre et le lieu d’un voyage. Ce décor abstrait, que l’on découvre plus tard composé de planches verticales (lesquelles rappellent la bande rouge sur l’avant-bras tailladé de la patiente), déplie la « bouillie fragmentaire de [son] intelligence ». Notamment lorsqu’une Maryline Monroe spectrale est projetée sur les filaments. La cotte de maille insoupçonnée (qu’un pull blanc recouvrait) semble avoir été tissée avec ces fils métalliques. Pourtant, ce costume imprévisible devient – à la suite d’un quasi streap-tease – une nouvelle entrave bridant le corps de celle qui vit en dehors des codes du discours dominant. Une frénésie de rock star s’empare du corps, une camisole de force sublimée par l’imaginaire.

Psychiatrie, humour et sensualité

Depuis la position d’un lancé de javelot jusque dans le tremblement d’un pouce, la mise en scène de Florent Siaud révèle une sensualité insoupçonnée, en contraste avec le hiératisme de l’interprétation d’Isabelle Huppert sous la direction de Claude Régy, en 2002. Le décor, composé de courbes baignées de rouge et percé d’une poursuite braquée sur le pull blanc et les cheveux noirs de Sophie Cadieux, affirme et soutient la théâtralité du texte.

Psychose-Sarah-Kane
« 4.48 Psychose » de Sarah Kane © Nicolas Descôteaux

Le monologue est donné d’une voix identique, riche d’intonations différentes en fonction des personnages. Dans cette satire contenue, les médecins ne sont pas ridiculisés et leur impuissance, plus que leur incompétence, se fait entendre sous les flots d’injures. Dans l’alternance de la minauderie, du cri du désir et de la parodie d’une séance de coaching, l’humour jaillit d’un texte qu’on entend rarement ainsi.

Lorsque la litanie des symptômes et des traitements est interrompue, une marche à la mort se fait entendre ; un couloir s’élargit pour laisser partir le « personnage ». On croit avoir assisté à un voyage, sans savoir très bien au bout de quelle nuit il mène. Une nuit où tout semble encore possible, entre l’aurore et le crépuscule. 

Romain Labrousse


4.48 Psychose, de Sarah Kane

La pièce est publiée dans la traduction d’Évelyne Pieiller par l’Arche Éditeur

Mise en scène : Florent Siaud

Avec : Sophie Cadieux

Traduction : Guillaume Corbeil

Compagnie Les songes turbulents

Durée : 1 heure

À partir de 15 ans

Teaser vidéo

Photo : © Nicolas Descôteaux

Théâtre Paris Villette • 211, avenue Jean Jaurès • 75019 Paris

Du 16 novembre au 2 décembre 2018, à 19 heures ou 20 heures, le dimanche à 15 h 30

De 8 € à 20 € 


À découvrir sur Les Trois Coups :

Focus Québec, 35e édition du Festival des Francophonies à Limoges, par Laura Plas

le Roi Lear, de Shakespeare, Théâtre national populaire à Villeurbanne, par Trina Mounier

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