« Adagio [Mitterrand, le secret ou la mort] », d’Olivier Py, Odéon‐Théâtre de l’Europe à Paris

Adagio © Alain Fonteray

« Adagio » : requiem pour un président

Par Amandine Sroussi
Les Trois Coups

Cette année, Olivier Py, directeur du Théâtre de l’Odéon, décide de rendre hommage à la figure si ambiguë de François Mitterrand. En confrontant l’indestructible Florentin à la mort, l’auteur et metteur en scène parvient à engager le spectateur sur un terrain biographique sinueux et trouble où Machiavel flirte avec le Petit Prince. Un défi admirablement relevé !

Le 10 mai 1981, le candidat socialiste François Mitterrand est élu président. La France est en ébullition. Tandis que Badinter proclame l’abolition de la peine de mort, le nouveau président apprend, à l’hôpital Cochin où il s’est rendu incognito, qu’il est atteint d’un cancer. Durant quatorze ans, celui qu’on allait jusqu’à surnommer « Dieu » badine avec la mort, pénétré jusque dans la chair des innombrables accusations dont il a été victime : la collaboration sous Vichy, le massacre des Tutsis au Rwanda, l’inaction face à la guerre de Bosnie…

L’auteur dresse ici le portrait d’un mourant, d’un homme qui se sachant condamné ne cessera de vouer un culte à la vie et à la méditation. C’est avec une grande justesse que la facture littéraire d’Olivier Py escorte la vie de l’homme politique et celle de l’homme agonisant. Échappant au joug sévère de la biographie, l’auteur parvient à offrir aux spectateurs une langue méditative, toujours en suspens, qui enveloppe les drames et les victoires d’un président confronté sans cesse à sa propre fin. L’auteur semble en avoir fini avec les réécritures (l’Orestie, l’Illusion comique…), avec le lyrisme et la sophistication formelle qu’on a pu lui reprocher. C’est un Olivier Py inattendu qui entre en scène ce mois-ci.

L’univers glacial des grands mythes politiques

L’auteur s’est montré capable d’affronter un style fuyant et inachevé, qui épouse admirablement l’univers glacial des grands mythes politiques du xxe siècle. Le metteur en scène, quant à lui, s’est montré plus réservé, et ce pour notre plus grand plaisir, comme conscient de devoir laisser place à l’écriture et à la réflexion.

La scénographie de Pierre‑André Weitz, pure contemplation onirique, est la médiation nécessaire qui permet au spectateur de saisir et de jouir d’une multitude de situations, de flash-backs et de complications presque inassimilables à la simple écoute du texte. Au début, une simple bibliothèque vient enclore une montée d’escaliers plus vertigineuse que menaçante. Puis, un grand cadre noir livre l’espace scénique à un paysage défilant en fond de scène. Toujours mouvant, un tapis roulant fait circuler les décors qui ont marqué la vie de Mitterrand : le mur de Berlin, les fenêtres de l’Élysée ou encore la maison de campagne de Latche.

Un désert d’arbres trépassés

Il est également le tremplin à l’entrée de chaque personnage : Badinter, Jack Lang, Gorbatchev, et laisse place à l’ombre de la mort qui rôde dans un désert d’arbres trépassés. Mitterrand dialogue sans cesse avec ces lieux, théâtres de sa vie, qui se déploient comme un oiseau de mauvais augure le renvoyant à sa propre douleur. C’est bien cet espace qui permet au spectateur (particulièrement celui ayant vécu les années Mitterrand) de voir ressusciter la réunification allemande, l’inauguration de l’Opéra Bastille, mais également les instants de honte : ceux d’un président qui affirmait que Vichy n’était pas la France, ou encore ceux d’un aveuglement européen face à l’épuration ethnique des musulmans bosniaques.

Et, bien sûr, quelle partition pour les acteurs d’Olivier Py ! Philippe Girard (Mitterrand), oscillant entre imitation et création, parvient à insuffler au personnage politique une dimension théâtrale et dramatique des plus savoureuses. Si l’on ne connaissait la logorrhée singulière d’un Mitterrand, il est évident qu’on s’irriterait des intonations ubuesques d’un Girard. Mais si l’on se souvient des emphases orales et stylistiques du président socialiste, on est conquis par la légitimité d’une telle interprétation.

Une dimension poétique et sensuelle

John Arnold, qui aurait pu tout aussi bien interpréter un Churchill, se voit distribuer les rôles de Badinter, Kouchner, Lang et Charasse. L’acteur aborde ces grandes figures avec une distance et une authenticité dans laquelle on reconnaît le travail d’imitateur, d’interprète et d’artisan qui lui est propre. Quant à Élisabeth Mazev, seule représentante féminine de la chorale présidentielle, elle offre à Duras et à Anne Lauvergeon une dimension poétique et sensuelle que Mitterrand prisait tant dans le corps et l’esprit des femmes.

Le metteur en scène offre également une partition étonnante à un quatuor à cordes qui vient ponctuer, en adagio, la longue et lente errance d’un Mitterrand jusqu’à la mort. Et pourtant, lorsque le plateau se referme sur un tunnel en point de fuite, c’est une ampoule, dernière pulsation, suprême débris de vie, point d’orgue d’une mise en scène éclatante d’intensité, qui vient murmurer à l’oreille du spectateur que le mot préféré de François Mitterrand était bel et bien le mot « vivant ». 

Amandine Sroussi


Adagio [Mitterrand, le secret ou la mort], d’Olivier Py

Mise en scène : Olivier Py

Avec : Philipe Girard, John Arnold, Bruno Blairet, Scali Delpeyrat, Jérôme Simon, Élisabeth Mazev, Jean‑Marie Xinling, Sébastien Richaud

et le quatuor Léonis : Guillaume Antonini, Sébastien Richaud, Alphonse Dervieux, Jean‑Lou Loger

Décors, costumes et maquillage : Pierre‑André Weitz

Assistante costume : Nathalie Begue

Création lumière : Bertrand Killy

Photo : © Alain Fonteray

Odéon-Théâtre de l’Europe • place de l’Odéon • 75006 Paris

Métro Odéon – R.E.R B Luxembourg

01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

Du 16 mars au 10 avril 2011 à 20 heures, dimanche à 15 heures, relâche le lundi

Durée : 2 h 20

De 8 € à 32 €

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