« Antigone 82 », de Jean-Paul Wenzel, MC2 – Scène nationale, à Grenoble

« Antigone 82 » de Jean-Paul Wenzel © L’ApostropheSNDeCergyPontoise

Wenzel fait le mur

Par Sophie Rigoureau
Les Trois Coups

Pourtant habitué des adaptations romanesques au théâtre puisqu’il a déjà adapté avec succès ses propres récits, « Vater Land » et « Tout un homme », ainsi que d’autres romans d’auteurs divers, Jean-Paul Wenzel déçoit. Son texte est appliqué et son théâtre didactique.

Le Quatrième Mur, le roman de Sorj Chalandon primé par le Goncourt des Lycéens 2013, a séduit le public. Il raconte le projet fou d’un metteur en scène grec qui veut faire jouer la pièce d’Anouilh, Antigone, à Beyrouth alors que le Liban des années 80 est plongé dans une guerre fratricide, avec une troupe constituée de comédiens issus des différentes factions qui se déchirent. Le titre annonce déjà une intention toute théâtrale et le texte est ponctué de nombreux dialogues. Cette apparente facilité a peut-être englué Jean-Paul Wenzel dans une adaptation très proche du roman. Trop proche ?

Pour briser ce « quatrième mur », Jean-Paul Wenzel propose un dispositif judicieux qui implique le spectateur ; il donne une immédiateté évidente au spectacle. Le public est en effet placé de manière tri-frontale (les gradins habituels face à la scène et deux autres rangées de gradins, côté cour et côté jardin) ce qui donne à la salle l’air d’une assemblée où tout se joue : on ne peut qu’être happé par le discours des comédiens. La présence sur scène de deux musiciens (basse électrique et oud), aussi comédiens à l’occasion, participe à l’immédiateté du spectacle.

Des éléments de décor simples, mais franchement appuyés, tel ce rideau déchiré et brûlé en fond de scène, évoquent Beyrouth en ruines. La vidéo, discrètement présente, sert à signaler les dates et les lieux. Elle met en jeu les allers-retours entre Paris et Beyrouth ou rend compte des communications entre les personnages. Tout ceci fonctionne plus ou moins, de manière appliquée et sérieuse, mais peu de magie s’en dégage.

Une réflexion politique

La force du spectacle tient davantage à l’arène politique que déploie Jean-Paul Wenzel sur le plateau – un aspect qui fait aussi l’intérêt du roman. En effet, dès les premières minutes, on est pris dans l’effervescence d’une agora où chacun exprime librement son point de vue : on est projeté au sein d’un groupe de gauchistes qui accueille à bras ouverts Samuel Akounis, héros de la résistance grecque sous la dictature des colonels. Les comédiens s’invectivent et s’interrompent, installés parmi les spectateurs qui se sentent impliqués. C’est cet aspect choral qui fonctionne le mieux dans la pièce.

Pour Samuel Akounis, il s’agit d’utiliser le théâtre, lieu privilégié du discours et de l’échange, pour obtenir une trêve à Beyrouth et faire parler entre eux des factions ennemies, à savoir Palestiniens, Chiites, Druzes et Chrétiens phalangistes. Mais cette histoire paraît bien idéaliste. On se demande même pourquoi ce doit être Georges, l’ami français, et non Samuel, qui mène à bien cette opération. La maladresse de Georges semble naturelle car il ne connaît rien au Liban, mais le comédien qui l’interprète manque de finesse et le personnage paraît d’autant plus balourd.

Cependant, deux moments dans le spectacle nous émeuvent et nous font sentir ce qu’aurait pu être cette pièce : les deux rencontres entre les comédiens ennemis. Ils s’avancent une première fois en un cercle mouvant, ôtent leurs brassards blancs. Alors, devenant autres, c’est-à-dire les personnages d’Anouilh, on se prend à rêver que la paix est possible par la force du théâtre. Une seconde fois, ils se retrouvent pour répéter certaines scènes et le miracle du théâtre opère : ils ne sont plus des ennemis mais, sous leurs capes grises qui cachent leurs identités, ils sont des comédiens et parviennent à se parler grâce à la magie de l’art. 

Sophie Rigoureau


Antigone 82, d’après Sorg Chalandon

Adaptation : Arlette Namiand

Mise en scène : Jean-Paul Wenzel

Avec : Hassan Abd Alrahman (jeu et musique), Fadila Belkebla, Pauline Belle, Pierre Devérines, Nathan Gabily (jeu et musique), Pierre Giafferi, Hammou Graïa, Lou Wenzel.

Durée : 2 heures

Teaser vidéo

Photo : ©  L’Apostrophe SN de Cergy Pontoise

MC2 Grenoble  • 4 rue Paul Claudel  • 38100 Grenoble

Du 13 au 19 octobre 2017, le mardi et vendredi à 20 h 30, le mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30

De 6 € à 25 €

Réservations : 04 76 00 79 00


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Vaterland : pays d’où l’on ne revient jamais, de Jean-Paul Wenzel, par Laura Plas

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