« Antigone », d’après « Antigone » de Sophocle, Nuits de Fourvière

Antigone © Hervé All

« Antigone » grandeur nature

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Jouer Sophocle dans les ruines de Fourvière… quelle belle idée ! et quelle leçon de théâtre…

Certes, il s’agit d’une reprise de l’Antigone déjà donnée l’an dernier en extérieur par la même troupe du Théâtre Permanent conduite par Gwenaël Morin… Avec la même distribution et les mêmes partis pris (un théâtre réduit à la pureté des origines, sans artifices, sans décor, sans costumes [ou si cheap…], avec chœur public composé de spectateurs amateurs, excellence du travail des voix et des corps…). Mais outre que passer d’un parking urbain à des ruines antiques n’est pas sans conséquences, surtout quand on sait en utiliser toutes les possibilités scénographiques, la mise en scène s’est épurée, la traduction-adaptation a été resserrée, le jeu des comédiens s’est densifié, et c’est bien à la naissance d’une nouvelle Antigone, sœur jumelle plus précise encore et plus juste, plus émouvante, que l’on assiste.

Un peu comme si tous avaient pris la mesure de la tragédie en se trouvant ainsi juchés sur le toit du monde, tout en haut des ruines (il faut mériter le spectacle…), face à la basilique de Fourvière, son poids d’histoire avec la mort, avec la divinité, avec les lois… Et ce sont les cloches qui, en quelque sorte, frappent les trois coups. C’est ainsi, en ce lieu, chargé de tradition et de culture, mais aride et comme désertique au milieu de la ville, que le « non » d’Antigone prend vraiment tout son relief.

Nous sommes à Lyon, nous sommes à Thèbes

C’est pourtant bizarrement le personnage de Créon qui est au cœur de cette tragédie. Il est en effet le seul qui ait à décider en son âme et conscience, qui ait à prendre des responsabilités humaines face à lui-même, face à la cité surtout. Ici, c’est la veulerie du peuple, ses volte-face qui sont dénoncées, tandis que les contradictions de Créon, à la fois chef de la cité et père, glissant de l’un à l’autre à mesure que le drame l’atteint plus près, représentent tous les drames de la condition humaine, et en tant que tels nous concernent et nous émeuvent. Le destin d’Antigone, parce qu’il est tracé, ne peut nous toucher de la même manière : les héros ne sont pas humains, ils sont, comme elle, « fous », autres.

Cette re-création renforce aussi les contrastes. La dimension comique est nettement plus accentuée dans cette version. C’est d’ailleurs essentiellement à Renaud Béchet qu’on la doit : comme garde tremblant de peur, par exemple, il fait un numéro extrêmement drôle. Cette introduction du comique ne nuit pas à la force tragique de la pièce de Sophocle. Gwenaël Morin oriente à chaque moment vers ce qui nous parle et joue habilement de ces contrastes… On n’oubliera pas non plus l’apparition de Nathalie Royer en Tirésias, venue du lointain des ruines, guidée par un serviteur, puis juchée sur un escabeau pour proférer ses malédictions – alliance du prosaïque et du grandiose… Ni la chute cul par-dessus tête de Créon à la fin de la pièce, telle une âme perdue dans un tableau de Jérôme Bosch… Toute la distribution est magnifique, à commencer bien sûr par Virginie Colemyn, actrice généreuse et engagée. Encore une fois, il faut saluer le talent de directeur d’acteurs de Gwenaël Morin. 

Trina Mounier


Antigone, d’après Antigone de Sophocle

Texte français : Irène Bonnaud, Malika Hammou, Gwenaël Morin

Mise en scène : Gwenaël Morin

Avec : Renaud Béchet, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Ulysse Pujo, Nathalie Royer

Photo : © Hervé All

Production : Gwenaël Morin et Les Laboratoires d’Aubervilliers

Coproduction : ville de Pantin, spectacle créé dans le cadre du Théâtre Permanent

Nuits de Fourvière • Ruines romaines

http://www.nuitsdefourviere.com/

Du mardi 4 juin 2013 au mercredi 12 juin à 19 heures

20 € et 15 €

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