« Antigone », d’après « Antigone » de Sophocle, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

Antigone © Hervé All

Théâtre à vif

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Fille d’Œdipe, héritière d’un destin tragique, Antigone est vouée au malheur… Le personnage de cette frêle jeune fille promise à une mort terrible a inspiré un nombre conséquent d’auteurs, de Sophocle à Anouilh en passant par Hölderlin, et son histoire est une des mieux connues du grand public. Pour ce qu’elle est, et surtout pour ce qu’elle représente, la figure du refus de l’autorité, le symbole de cette révolte fondatrice dont parle Camus, celui auquel se réfère Gwenaël Morin dont la mise en scène de la tragédie de Sophocle se révèle puissante, émouvante et incroyablement juste.

Lorsque après la mort du père, les deux frères, qui devaient régner l’un après l’autre une année sur deux, s’entretuent pour le pouvoir, le nouveau roi de Thèbes, leur oncle, Créon, décide que celui qui a pris les armes contre son peuple sera privé de sépulture, son crime étant bien plus grave que celui du frère accapareur. Antigone va s’opposer à cette loi des hommes au nom d’une loi divine qui oblige à rendre possible l’accession des siens au royaume des morts, au nom d’une loi humaine qui impose le respect des corps, enfin par revendication d’un destin solitaire, d’une quête d’héroïsme, par orgueil et par désespoir…

C’est peu dire que le personnage a fait couler de l’encre… Mais c’est sans doute l’incarnation de la désobéissance qui intéressait Sophocle : la démocratie athénienne balbutiait, et l’on dit que le succès de la pièce valut à son auteur des honneurs politiques…

La tragédie de Créon

Finalement, plus qu’à Antigone, c’est à Créon que s’attache Gwenaël Morin : alors qu’Antigone poursuit sa route droite, inflexiblement, Créon, lui, est un vrai personnage tragique qui pense, qui se construit, qui évolue, passant du despote convaincu de la justesse de ses choix au père brisé prêt à faire amende honorable, à reconnaître son erreur devant son peuple, et lui‑même effacer sa loi…

Cette Antigone fait partie des grandes œuvres du répertoire passées à la Moulinette du Théâtre Permanent de Gwenaël Morin, du temps où il animait cette utopie sublime d’un théâtre qui ne s’arrête jamais, totalement gratuit, éloigné des codes habituels et hostile à toute séparation artificielle entre artiste et public. C’est un théâtre fait de bouts de ficelle et de morceaux de carton, un théâtre qui revendique d’être pauvre et de ne trouver sa richesse que dans le texte et le travail sur celui‑ci. Pas de scénographie à proprement parler : la pièce se joue sur le parking du théâtre, en plein air, à la tombée du jour, autant dire presque sans éclairages. Accessoires, costumes et maquillages sont plus que sommaires. Mieux encore, Gwenaël Morin utilise des objets du quotidien, serpillière, seau en plastique, mais sans coquetterie ni affectation, sans provocation non plus : il en détourne le prosaïsme au point de les faire oublier, de n’en garder que le signe théâtral et même de les rendre sublimes. Ainsi la scène où Créon lave lui‑même le corps de Polynice à l’aide d’une bouteille d’eau en plastique, scène bouleversante, nue et sans fard.

Il faut parler aussi de la place donnée aux acteurs. Ici, c’est une femme qui incarne Créon (chaque comédien est d’ailleurs alternativement homme et femme). Extraordinaire Virginie Colemyn, au jeu d’une infinie complexité et d’un total engagement. Une actrice dont tout le corps se fait parole, qui sert le texte et suggère d’autres images, plus proches, plus actuelles, celle de la pièta palestinienne qui a circulé sur le Net par exemple, sans jamais peser. Toute la distribution est du même niveau. Même les amateurs venus participer au chœur ont acquis en quelques répétitions l’harmonie et la puissance nécessaires. Ce chœur nous représente, nous interpelle, nous étreint, il ne nous laisse jamais indifférents, il martèle son indignation et ses émotions, crie sa douleur, joue son rôle de peuple face au bourreau… De ce chœur surgit un chien féroce, Ulysse Pujo, à lui seul toutes les Érynnies, trouvaille d’acteur ou de metteur en scène.

Il ne reste que quelques représentations avant que cette Antigone ne disparaisse des scènes. C’est le lot du spectacle vivant. Précipitez‑vous cependant. C’est un spectacle rare. 

Trina Mounier


Antigone, d’après Antigone de Sophocle

Traduction : Irène Bonnaud et Malika Hammou

Par la troupe du Théâtre Permanent (Aubervilliers, 2009) et le chœur public de Lyon

Mise en scène : Gwenaël Morin

Avec : Renaud Béchet, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Ulysse Pujo, Nathalie Royer et le chœur public

Théâtre du Point‑du‑Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon

www.lepointdujour.fr

Réservations : 04 78 15 01 80

Du 17 au 27 juillet 2012 à 20 heures, relâche le dimanche 22 juillet 2012

Spectacle en plein air sur le parking du théâtre

Durée : 1 h 20

Tarif unique : 7 €

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