Cédric Gourmelon, à fleur de peau
Par Aurore Krol
Les Trois Coups
Festival Mythos, Théâtre du Vieux-Saint-Étienne. Il fallait bien cette église désacralisée pour porter comme un souffle précieux le long périple poétique de David Wojnarowick. Il fallait bien cet espace d’intemporalité enténébrée pour offrir à Cédric Gourmelon l’écho nécessaire au propos qu’il incarne.
Au bord du gouffre est une plongée dans l’Amérique underground des années 1980, dans un milieu gay percuté par les années sida. Un texte éclaté, composé de tonalités et de registres multiples, parfois tribune, parfois confidence, pamphlet ou brûlot contre les années Reagan et leur puritanisme. David Wojnarowick l’a écrit en 1991, à 38 ans, un an avant de succomber au sida. Et pourtant, ça pourrait tout à fait avoir été écrit il y a quelques semaines, par un jeune gay de province subissant l’homophobie même pas latente de tout un pan de la classe politique et de la population française. C’est peut-être ce constat qui fait le plus froid dans le dos.
En choisissant de créer ce spectacle, Cédric Gourmelon avait‑il conscience que le thème entrecroiserait une actualité des plus violentes, ce « Printemps français » qui avait parcouru les rues de cette même ville quelques heures plus tôt, alors même que dérapent dans la haine des propos tels que « le sang va couler » ? Quoi qu’il en soit, impossible d’appréhender l’œuvre qui se joue devant nous sans y lire en creux les batailles qui se tiennent en ces mêmes instants sur d’autres scènes… Tout cela se superpose, indéniablement, le texte et le contexte, l’art et le politique.
Et Cédric Gourmelon offre un spectacle exemplaire. Émouvant, brut et sans apprêt, son jeu se fond intelligemment dans les ruptures de ton de David Wojnarowicz, de l’intime presque murmuré à la rage d’un exil en son propre corps, à la descente aux enfers et aux fascinations provoquées par le sexe et par l’art. Et cette parole qui monte, qui combat et qui pointe, cette parole qui traverse trente ans de luttes pour venir nous heurter jusqu’au tréfonds.
L’atmosphère onirique de l’espace scénique et les projections en toile de fond de silhouettes à la tribune finissent d’emporter le public dans cette œuvre magnifique et crue, portée de bout en bout par un acteur qui se donne corps et cœur. La meilleure part de l’homme, au final, malgré les heures sombres et les trouées de violence… ¶
Aurore Krol
Au bord du gouffre, d’après David Wojnarowicz
Le Serpent à plumes
Traduction : Laurence Viallet
Conception et interprétation : Cédric Gourmelon
Collaboration artistique : Nathalie Elain, Jonathan Bidot
Collaboration et création lumière : Marie‑Christine Soma
Régie lumière : Rodrigue Bernard
Régie son : Emmanuel Le Duigou
Photo : © Wojna
Administration et production : Lena Le Tiec
Coproduction : Réseau lilas / La Passerelle, scène nationale de Saint‑Brieuc
Théâtre du Vieux-Saint-Étienne • 14, rue d’Échange • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 79 76 39
Site du festival Mythos : www.festival-mythos.com
Courriel de réservation : billetterie@festival-mythos.com
Mercredi 17 avril et jeudi 18 avril 2013, à 21 heures
Durée : 1 heure
12 € | 10 € | 6 €