« Au plus noir de la nuit », d’après André Brink, Théâtre de la Tempête à Paris

« Au plus noir de la nuit » de Nelson Rafaell Madel © Léna Roche

Trouver sa direction, au plus noir de la nuit ! 

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Approfondissant les questions de l’exil et du racisme, Nelson Rafaell Madel adapte « Au plus noir de la nuit », de l’écrivain sud-africain André Brink. Si la proposition n’est pas dépourvue d’audace, elle manque de maturation, en particulier en ce qui concerne la direction d’acteurs.

Au noir de la nuit est le premier livre en afrikaans qui ait été censuré par les autorités sud-africaines. D’où vient cette exceptionnelle mise à l’index ? Ce n’est pas seulement qu’André Brink conte une torride histoire d’amour. C’est plutôt que les amants, sorte de Roméo et Juliette contemporains, n’ont pas la même couleur de peau. C’est, en outre, que la voix narrative appartient à un condamné noir : un scandale !

Or, comme le personnage créé par Victor Hugo dans Le Dernier Jour d’un condamné un siècle plus tôt, Joseph Malan renverse la perspective : l’accusé devient l’accusateur d’une société raciste, sclérosée et meurtrière. Et ces réflexions n’ont rien perdu de leur acuité au temps de Trump, Poutine, Le Pen et autres tristes sires.

D’Hugo à Shakespeare

L’adaptation fonctionne surtout parce que Nelson Rafaell Madel choisit de verser dans le roman comique (au sens de Scarron). En effet, la geste de Joseph est une histoire d’amour pour le théâtre : depuis la découverte éblouie de l’enfant jusqu’à la carrière engagée du metteur en scène œuvrant sous la tutelle du théâtre shakespearien. On a perçu dans le roman des échos avec la vie d’André Brink . Ne pourrait-on pas alors voir en Joseph, qui fait de l’art une arme contre l’injustice, un cousin de Nelson Rafaell Madel ?

Ajoutons que, comme dans le très beau Erzuly Dahomey, déesse de l’amour de Lemoine, les mots viennent s’enrichir de silences, et le jeu des acteurs du mouvement dansé. Certes, quelques gestes chorégraphiques semblent répétitifs, et gagneraient à être épurés, mais il y a des moments forts, comme la démarche dansée de Joseph enfant et de sa mère, ou le prologue silencieux.

Mais qu’allaient-ils faire dans cette farce ?

Par contre, certaines coupes rendent la narration confuse ou les personnages incompréhensibles. Pire, la distribution n’est pas confortée par une direction d’acteurs assez assurée. On peut demander à un comédien de passer d’un rôle à l’autre, encore faut-il lui permettre de ne pas sombrer dans la caricature quand il joue l’autre sexe ou l’enfance. Et on ne préfère pas s’appesantir sur les fantoches conçus par Ulrich N’toyo…

S’agit-il ici de créer des contrepoints à la noirceur ? Peut-être. Mais on a du mal à reconnaître la tonalité du roman. C’est vraiment dommage car il suffirait d’épurer, de faire moins durer certains cabotinages pour que la proposition retrouve un bel équilibre. On a constaté la qualité de l’équipe sur Erzuly Dahomey, déesse de l’amour. Nul doute alors que le tir ne finisse par être rectifié. 

Laura Plas


Au plus noir de la nuit, d’après André Brink

Le texte Looking on darkness est édité au Livre de poche

Adaptation et mise en scène : Nelson Rafaell Madel

Avec : Adrien Bernard-Brunel, Mexianu Medenou, Gilles Nicolas, Ulrich N’toyo, Karine Pédurand, Claire Pouderoux

Durée : 1 h 50

À partir de 14 ans

Présentation du spectacle par le metteur en scène

Photo : © Léna Roche

Théâtre de La Tempête • Cartoucherie – Route du champ de Manœuvres • 75012 Paris

Du 21 septembre au 21 octobre 2018, du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 h 30, le samedi 22 septembre à 17 h 30

De 10 € à 22 €

Réservations : 01 43 28 36 36


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