« Aux hommes de bonne volonté », de Jean‑François Caron, la Luna à Avignon

« Aux hommes de bonne volonté » © D.R.

Les mendiants
de l’amour

Par Vincent Cambier
Les Trois Coups

Dans cette salle intime de la Luna qui lui sert d’écrin, un bijou brille dans la pénombre. Ce n’est pas le Ko-hi-noor, non. La pierre précieuse se nomme plus modestement « Aux hommes de bonne volonté ». Une pièce fabriquée à la main et au cœur par un auteur québécois, Jean‑François Caron. Un grand monsieur.

Jeannot Vandal vient de mourir. Du sida. Il avait quinze ans. Par l’intermédiaire d’un notaire (c’est sa dernière volonté), Jeannot va léguer, par testament, quelques menus objets à son frère Juliot, à son frère Harvey (« toujours parti, jamais là »), à sa sœur Margaret (absente), à sa sœur Loulou, à sa tante Ninja (également absente), à sa mère, à son père (lui aussi absent), à son oncle Jos et à Serge, son « frère de nuits jubilatoires », son amant. En outre, pour feu sa blonde Lucie, il demande une minute de silence.

Mais, si le notaire est ordinaire, le testament, lui, ne l’est pas. Car Jeannot était un rebelle, rendu fou par le manque d’amour. Il a donc décidé que sa mort devait servir à crever l’abcès de la pleutrerie des sentiments, de la couardise du cœur, de la lâcheté de l’âme. Sa colère va ainsi s’abattre sur sa famille. Pour la secouer, la bousculer. Pour la changer. Pour que les humains, enfin, cessent d’être des radins de l’amour.

Tu peux y aller, Jeannot : de toute façon, « on dormira pas personne cette nuit ». Or le minot n’y va pas de main morte. Tant pis si, comme dit sa mère, « c’est toujours insultant d’entendre une vérité ». Cerise sur le gâteau, le jeune décédé a appris à écrire « au son ». Du coup, il griffonne des phrases comme : « À ma mère artritike, ki disè ke la vi sétè come une beré de marde, à ma mère ki fezè se kèle pouvè pour nou consolé du père canibale… ». Ou encore : « Depui ke je sui séropozitif, Juliot, tu ri pu, tu braye comme un vo ». À sa sœur Loulou, le trépassé lui balance qu’elle a eu « une anfanse pèrdu, disparu dèrière dè zané de fuite, dèranse a travèr le vide, le silanse, le riin ». Il souligne cruellement « le sanfon kora été ta vi, Loulou ». Mais, comme dit Serge, son frère d’âme : « Ceux qui veulent comprendre comprennent, ceux qui veulent pas comprennent pas. Le dictionnaire, c’est pas les bons mots qui sont là-dedans. ».

Jean-François Caron, par la voix de Jeannot, hurle en touillant ses colères envers notre société clôturée de verre fumé, engoncée dans son opacité. Notre communauté imperméable aux grosses gouttes rouges pulvérisées par les cris des mendiants de l’amour. Que nous sommes tous. L’auteur gueule encore contre cette Terre terrifiée, où les humains se comportent « comme si tout le monde était devenu le nuage radioactif de quelqu’un d’autre ». Et supplie Jeannot de nous enlever nos peurs.

La mise en scène au cordeau de Jean Faure et les lumières efficaces de Pascal Boudy se resserrent sur l’essentiel : la parole et le corps des comédiens, qui sont les passeurs de l’auteur.

Alexandre Josse (Juliot) et Delphine Roussel (Loulou) ont a priori fort à faire face aux « pointures » qu’ils ont en face d’eux. Mais ils ne déméritent pas et sont convaincants. Michel Octobre, dans le double rôle du notaire et de Jeannot, est d’une élégante justesse de bout en bout. Jean‑Paul Daniel laisse sourdre sobrement sa tendresse pour « son » oncle Jos, de tout son corps et de toute sa voix. Julie Lalande incarne avec éclat la mère de Jeannot, l’amour et la colère moussant au bord de ses lèvres. Yann Karaquillo (Serge), enfin, compose avec toute la puissance de son être félin un fauve déchiré, à jamais veuf, mais ivre de liberté. 

Vincent Cambier


Aux hommes de bonne volonté, de Jean-François Caron

Lemur Kata Cie Jean-Faure • les Michauds • 19600 Chasteaux

05 55 85 39 67 | 06 88 30 21 15

faure.jean5@wanadoo.fr

www.theatredelagrange.free.fr

Mise en scène : Jean Faure

Avec : Michel Octobre, Alexandre Josse, Delphine Roussel, Julie Lalande, Jean‑Paul Daniel, Yann Karaquillo ou Paul Éguisier

Scénographie : Pietso

Images et son : Pascal Boudy

Costumes : Florence Alfonsi

La Luna • 1, rue Séverine • Avignon

Réservations : 04 90 86 96 28

Du 6 au 28 juillet 2007 à 15 h 20

Durée : 1 h 15

13 € et 10 €

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