« Badke », de Koen Augustijnen, Rosalba Torres Guerrero, Hildegard De Vuyst, le Quartz à Brest

« Badke » © Danny Willems

Ne jamais être à terre

Par Aurore Krol
Les Trois Coups

À Brest, les dix interprètes de « Badke » réécrivent les pas d’une danse folklorique du Moyen-Orient, entre identité de groupe et dévoilements intimes. Une chorégraphie au rythme endiablé, instantanément joyeuse, qui s’ouvre progressivement à des tableaux narratifs évoquant les territoires occupés en Palestine.

Tout commence dans le noir. Cela tape nerveusement du pied et cela alpague. On devine avec frustration que l’heure est à la fête et on aimerait bien être de la partie. Après de longues minutes, la lumière se fait sur six hommes et quatre femmes mêlés dans une même farandole virevoltante. Cette ligne large de corps joueurs, infatigables, aux vêtements colorés et aux visages souriants, c’est l’image la plus évidente pour résumer Badke, l’évènement phare du festival Dansfabrik.

Anagramme de dabké, le titre du spectacle fait référence à une danse folklorique à base de sauts et de martèlements, pratiquée à l’origine lors de banquets et mariages, et dont on trouve plusieurs variantes au Liban, en Syrie, en Irak et en Palestine. Ayant mûri leurs objectifs au cours d’une longue résidence de travail à Gand au sein des Ballets B de C, les dix interprètes évoluent entre mouvements traditionnels et actuels, dans la réinvention d’un patrimoine commun passé au prisme de la danse contemporaine. Ainsi capoeira, hip-hop, cirque, participent à l’impulsion d’ensemble et à l’élargissement du faisceau de sens que balaye la dabké.

Le grand corps collectif se fragmente peu à peu pour mettre au jour les individualités. La danse n’est plus un simple hymne festif, elle devient narrative quand elle fait transparaître les attaches affectives et les lignes de tension au sein d’une communauté. Un homme se drape d’une robe rouge, ondule dans un solo sensuel sous les acclamations de ses partenaires. Ailleurs, la douleur d’une solitude s’exprime. La tendresse de deux peaux masculines qui s’effleurent illumine un bref tableau, tandis que la lutte à armes égales entre une femme et son cavalier se répète à différents endroits du plateau. Ce sont les identités personnelles, autant que les pas codifiés, qui gagnent ici en flexibilité.

Angoisse latente

La réalité géopolitique rattrape régulièrement l’œuvre, et c’est très concret. Palestiniens, les danseurs évoluent en faisant déceler au public le tiraillement d’une angoisse latente. Non perceptible dans la première partie du spectacle, celle-ci va sourdement finir par se matérialiser. Coupures d’électricité, tirs, cris d’enfants, morcellent la linéarité du début, disant beaucoup du quotidien en territoire occupé.

La bande-son, signée Naser al‑Faris, semble vouloir faire plonger le spectateur dans le réel organique d’une salle de bal. En surexploitant une musique populaire et presque kitsch, en la travaillant en direct sous forme de boucles, la mise en scène devient lancinante, presque agaçante à force de répétitions. À première écoute, le choix peut paraître surprenant et même agir comme un repoussoir pour une partie du public. Pourtant, ce parti pris n’est-il pas aussi le signe qu’il faut de l’entêtement pour toujours se relever, glisser de la peur à la fête dans un élan vital et solidaire ? Car face aux embûches et aux risques, les danseurs ne s’arrêtent pas, ils frondent.

Vont-ils conclure, saluer ? Plusieurs fois, on se pose la question quand la musique cesse. Mais, comme ils semblent mettre un point d’honneur à ne jamais se laisser abattre, les artistes reprennent leur danse, encore et encore. Les corps bondissent, s’élèvent, s’immobilisent parfois, mais ne restent jamais au sol. C’est cet acharnement à l’exultation qui fait la beauté et la force politique de Badke

Aurore Krol


Badke, de Koen Augustijnen, Rosalba Torres Guerrero, Hildegard De Vuyst

Conception, direction artistique : Koen Augustijnen, Rosalba Torres Guerrero, Hildegard De Vuyst

Création et danse : Fadi Zmorrod, Ashtar Muallem, Farah Saleh, Yazan Eweidat, Salma Ataya, Samaa Wakeem, Mohammed Samahneh, Samer Samahneh, Maali Maali, Ayman Safiah (aussi créé par Ata Khatab)

Assistance à la mise en scène : Zina Zarour

Soundtrack : Naser al-Faris edited by Sam Serruys

Costumes : Britt Angé

Conception lumière : Ralf Nonn

Régisseur son : Steven Lorie

Photo : © Danny Willems

Gestion et coordination des tournées : Nicole Petit

Production : KVS, les Ballets C de la B & A.M Quattan Foundation

Dans le cadre du festival Dansfabrik

Renseignements / billetterie : 02 99 31 12 31

Le Quartz • square Beethoven-60, rue du Château • 29200 Brest

Site du théâtre : www.lequartz.com

Réservations : 02 98 33 70 70

Jeudi 26 février 2015 à 19 h 30, vendredi 27 février à 20 h 30 et samedi 28 février à 19 h 30

Durée : 1 heure

Tarif : 8 €

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