« Bouvard et Pécuchet », d’après Gustave Flaubert, Théâtre national populaire à Villeurbanne

« Bouvard et Pécuchet » © Pascal Victor

Deschiens chez Flaubert

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Quand Jérôme Deschamps s’empare de Flaubert, il l’adapte. Il l’adapte même tellement bien que Flaubert tend à disparaître.

Inutile donc de compter sur cette adaptation pour faire l’impasse sur la lecture du roman si l’on veut revisiter Flaubert. Certes, il en reste bien quelques scories, mais réduites à la portion congrue. Comme dans le roman, Bouvard et Pécuchet sont deux gratte-papier stupides et prétentieux que leur passe-temps préféré, tout critiquer, rapproche au point de les lier d’une indéfectible amitié. Par le hasard d’un héritage tombé du ciel dans l’escarcelle de Bouvard, ils vont pouvoir réaliser leur rêve, partir à la campagne, synonyme de havre de paix, d’océan de verdure, etc – les deux complices adorent les clichés répétés à l’envi. Et découvrir que la campagne est bruyante, malodorante, infiniment décevante, peuplée d’animaux encombrants et de ruraux encore plus frustes que les ouvriers qu’ils ont laissés à la ville.

Pas de doute. Ce propos politiquement incorrect est bien dans le ton des Deschiens. S’ensuit une caricature acérée, vacharde et jubilatoire des paysans, incarnés par le seul Lucas Hérault qui en vaut bien dix à lui tout seul, et des paysannes que représente l’unique Pauline Tricot, qui joue à la perfection les crétines rusées. Il boit, elle frotte, il la poursuit, il la cogne, elle le frappe, bref, ils sont affreux, sales et méchants. Lucas Hérault et Pauline Tricot trouvent là matière à prouver leur talent d’acteur et de clown, avec au passage quelques numéros hauts en couleur particulièrement réjouissants, de la haute voltige, réglée au millimètre. Car c’est là une indéniable qualité de ce spectacle qui enchaîne les scènes à toute allure, jouant de l’inattendu, de la surenchère, ne craignant jamais d’en faire trop, au contraire, ne reculant devant aucune insolence. L’humour de Jérôme Deschamps ne se laisse pas plus brider aujourd’hui qu’hier, et ce n’est pas le respect pour le grand écrivain qui va l’étouffer !

À la fois jubilatoire et décevant

Face à ce monde agricole dûment estampillé, Bouvard et Pécuchet, interprétés respectivement par Micha Lescot et Jérôme Deschamps en couple de bande dessinée, genre Laurel et Hardy, le long maigre et le petit gros, paraissent des lumières. Il faut dire qu’ils en sont persuadés, ces néoruraux qui ont toutes les caractéristiques ridicules ô combien de nos bobos : la conviction imbécile qu’ils feront tout mieux que les autres et la désillusion amère apportée par une réalité qui ne s’en laisse pas compter. Ici, nos deux héros vont se lancer dans la fabrication de conserves sans rien connaître des secrets de la fermentation avec le résultat qu’on pouvait attendre : l’une après l’autre, les boîtes explosent. Les deux comédiens composent un duo impayable, jouant de leurs différences, prenant de grands airs et semblant tout droit extraits des dessins de Daumier.

On a donc en sortant de ce spectacle un sentiment contradictoire. D’une part, on s’est bien amusé, on a beaucoup ri, parce que la machine à rire de Deschamps fonctionne à merveille. Il aura confirmé en passant son style, son art dans la direction d’acteurs et dans la mise en scène, qui sont grands. Mais de Bouvard et Pécuchet, on n’aura eu que l’anecdotique abondamment orné de références contemporaines, autant dire rien. 

Trina Mounier


Bouvard et Pécuchet, d’après Gustave Flaubert

Adaptation et mise en scène : Jérôme Deschamps

Avec : Jérôme Deschamps, Lucas Hérault, Micha Lescot, Pauline Tricot

Scénographie : Félix Deschamps

Lumières : Bertrand Couderc

Costumes : Macha Makaïeff

Accessoires : Sylvie Châtillon

Assistant à la mise en scène : Arthur Deschamps

Photo : © Marianne Grimont

Production déléguée : Cie Jérôme‑Deschamps

Coproduction : Specta Films C.E.P.E.C., la Coursive de La Rochelle, le Théâtre de Caen

Avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, de l’Adami, de la Spedidam et du Fonds d’insertion pour jeunes artistes dramatiques, D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d’Azur

Création à la Coursive le 3 octobre 2016

Théâtre national populaire • 8, place Lazare‑Goujon • 69100 Villeurbanne

www.tnp-villeurbanne.com

04 78 03 30 00

Du 12 au 19 octobre 2016 à 20 heures, le dimanche à 15 h 30, relâche le lundi

Durée : 1 h 30

De 9 € à 25 €

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