Brève rencontre avec René de Obaldia, romancier, poète, auteur dramatique

© Rodolphe Fouano

« Je me suis excusé d’être vivant »

Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups

Poète et auteur dramatique, René de Obaldia est joué et célébré dans le monde entier. « Les Trois Coups » ont rencontré le doyen de l’Académie française qui, à 96 ans, déclare humblement jouer les prolongations !

Plutôt qu’une autobiographie, vous avez publié, en 1993, dans un élan nervalien, une exobiographie, comme s’il s’était agi d’un autre 1. Aujourd’hui dans votre 97e année, savez-vous enfin qui vous êtes ?

Je le sais de moins en moins ! Plus je vais et plus je suis ignorant, avec cette impression d’être toujours étranger à moi-même. C’est très curieux. « J’ai peu de choses en commun avec moi-même », écrit Kafka. Cela reste aussi mon état d’esprit. Parvenu à l’âge canonique de 96 ans, j’ai tout mon avenir derrière moi ! Ma vie fut assez passionnante, j’ai eu beaucoup de chance. Mais j’approche d’un terme. D’autant que je comptais sur ma femme pour me fermer les yeux et qu’elle est partie avant moi. Toute une vie merveilleuse passée ensemble a disparu d’un coup. Calderón a décidément raison : la vie est un songe !

Vous assurez jouer les prolongations. Gardez-vous cependant une curiosité et un goût pour la vie ?

Oui, bien sûr. Je reste très intéressé par cette énigme.

Dans un exercice d’humour noir, vous avez décrit vos morts possibles. Ce qui est sans doute un exutoire. L’âge venu, êtes-vous inquiet ?

Ma mort interviendra bientôt maintenant, et c’est normal. J’espère que la souffrance des longues maladies me sera épargnée. Je voudrais aussi ne pas être une charge pour mes enfants et mes amis. J’aimerais partir le mieux possible. Mais en soi, la mort ne me fait pas peur. Me revient le mot de Cocteau : « La mort ? Mais j’y suis habitué ! J’étais mort si longtemps avant de naître. ». Et puis il y a la boutade de Jean Paulhan : « La mort ? Pourvu que j’arrive jusque-là ! ». Au-delà de ces traits demeure l’énigme, pour moi comme pour tout le monde.

Croyez-vous aux forces de l’esprit ?

J’espère de tout mon cœur. C’est Lacordaire, je crois, qui disait : « Mon âme est profondément mystique, ma raison profondément critique ». C’est un peu mon cas aussi.

Quel regard portez-vous sur votre œuvre ?

De nombreux lecteurs m’ont confié que mes pièces mais aussi mes écrits les avaient rendus heureux. Quelle satisfaction de savoir que l’on aide des gens à vivre ! Je les divertis, même si le rire masque chez moi le sentiment tragique de la vie. Autre joie : mes Innocentines, ces « poèmes pour enfants et quelques adultes », sont citées dans les manuels scolaires. J’ai rencontré récemment une mère d’élève qui m’a dit : « Monsieur de Obaldia, je vous croyais mort ! ». C’est la rançon de la gloire quand on figure dans une anthologie aux côtés de Théodore de Banville, François Coppée, Heredia ou Prévert. Je me suis excusé d’être vivant (rires).

Vous êtes romancier, poète, auteur dramatique. À quelle part de votre œuvre êtes-vous le plus attaché ?

Je ne peux pas répondre à cette question. Demande-t-on à un père de famille nombreuse lequel de ses enfants il préfère ? Or j’ai engendré une grande diversité d’œuvres : romans, courts récits, poèmes, pièces de théâtre… Seule confidence : Monsieur Klebs et Rozalie concentre sans doute le plus de traits typiques de mon caractère. Je reste très attaché aussi aux Richesses naturelles.

Quelles dispositions avez-vous prises pour la sauvegarde de vos archives ?

J’ai conservé peu de manuscrits, m’attachant moins à ma personne qu’à l’œuvre même. La Bibliothèque nationale de France aurait souhaité les récupérer. Finalement, j’ai décidé de léguer mes archives à la bibliothèque de l’Institut, notamment la correspondance que j’ai échangée avec Cocteau ou Gracq. Et aussi de nombreux livres avec des envois d’auteur qui m’ont été adressés.

Au début de Monsieur Klebs et Rozalie, le personnage, créé par Michel Bouquet, lance en refermant le journal : « On ne peut pas dire que ça s’améliore. ». Cette appréciation est d’une triste actualité…

Hélas ! Nous vivons dans un monde difficile. Je suis consterné par ce qui se passe actuellement, comme beaucoup. Mais vous savez, j’ai passé quatre ans en captivité chez les nazis jusqu’en 1944 et j’en suis sorti. Après cette hécatombe que fut la Seconde Guerre mondiale, comment aurait-on pu imaginer que l’on reviendrait soixante‑dix ans plus tard aux guerres de religion ? C’est incroyable ! Je vais parler comme un vieux schnock, mais c’est un problème de valeurs bafouées. En vérité, le monde n’a jamais été très gai. Il ne faut pas céder au passéisme : homo homini lupus ! ça a été affreux à toutes les époques. Croyez-vous que la guerre de Cent Ans ou la peste bubonique n’ont pas été cruelles aussi ?

Pourquoi avez-vous renoncé à écrire ?

J’ai cessé d’écrire depuis la mort de ma femme. Oserais-je dire que j’ai maintenant l’impression que « tout le reste n’est que littérature » ? C’est un sentiment lamentable. Par bonheur, la vie continue. La Terre tourne encore ! Et puis j’ai la chance d’avoir des enfants très agréables, ce qui n’est pas toujours le cas. J’ai aussi des amis merveilleux. Et j’ai trouvé une nouvelle famille au sein de l’Académie française.

Vous avez été élu sous la Coupole en 1999, au fauteuil de Julien Green. Et vous êtes maintenant le doyen de l’Académie…

J’y vais aussi régulièrement que ma santé le permet. J’y rencontre des gens merveilleux. Ce qui est intéressant, c’est que les disciplines y sont mêlées. Nous y avons des débats passionnants.

Les femmes y sont très minoritaires. Seulement huit ont été élues contre 720 hommes…

Richelieu n’avait pas pensé à cette question, en 1635 ! Lorsque Marguerite Yourcenar a été élue par bonheur, en 1980, cela a provoqué beaucoup d’opposition, même chez de grands esprits : Claude Lévi-Strauss, par exemple, était contre cette évolution. Hélène Carrère d’Encausse est secrétaire perpétuel depuis 1999. C’est une personne remarquable par son savoir et son intelligence, mais aussi par son humanisme. Je ne suis pas favorable à la parité. Ce sont les qualités de l’être qui importent, quel que soit le sexe. Les femmes exceptionnelles ont évidemment leur place à l’Académie et c’est un bonheur d’en compter dans notre assemblée. 

Propos recueillis par
Rodolphe Fouano


1. L’œuvre de René de Obaldia (huit tomes) est publiée aux éditions Grasset.

www.academie-francaise.fr/les-immortels/rene-de-obaldia

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