« Brita Baumann » [« les Cadouin nº 2 »], de Gaëtan Peau et Quentin Defalt, Théâtre 13 à Paris

Brita Baumann © Quentin Defalt

Les souffrances de la jeune Brita…

Par Sheila Louinet
Les Trois Coups

Il était une (deuxième !) fois au pays des Cadouin. Le Théâtre du Rond-Point avait déjà abrité le premier volet de cette famille : « Monsieur Martinez ». Ces personnages au rire noir et tranchant reviennent sur la scène du Théâtre 13. Mais inutile d’avoir vu le premier pour apprécier le second. Il était une fois « Brita Baumann », quelque part entre Goethe et les Deschiens…

Qui ne connaît pas les Cadouin peut se souvenir de l’émission belge « Strip-tease » dans laquelle on suivait les aventures de personnages très ordinaires. Face à ces caricatures sur pattes, on restait tout bonnement scotchés devant cette télé-réalité d’avant l’heure. Et c’est bien avec cette même sauce (bien grasse) que les auteurs de Brita Baumann (Gaëtan Peau et Quentin Defalt) tartinent les membres de la famille Cadouin. Mais ici la béchamel est si épaisse qu’on en ressort avec des flatulences et un goût douteux dans la bouche. Doit-on rire ou pleurer ? La déchéance de cette famille est telle qu’elle éclate en petites bulles malodorantes. Sa « beauferie » emporte la palme du ridicule et du grotesque. Le rire est gras, le plat souvent indigeste. Oh mais, rassurez-vous, on en redemande !

Entrée, plat ou dessert ? Difficile de caser cette famille dans un menu traditionnel. Plutôt bon signe, en fait. Disons (avec toutes les précautions qui s’imposent) que c’est un peu le cassoulet des Deschiens avec en prime la chantilly bien dégoulinante des Souffrances du jeune Werther. Mais les envolées lyriques (une correspondance « enflammée ») de Brita (fraîchement débarquée de sa province teutonne) ne peuvent masquer la décomposition déjà bien avancée du plat de résistance. Au contraire, elle ne sera qu’un cri dissonant supplémentaire (mais essentiel) au processus de putréfaction. Entre les séances de répétition (affligeantes de nullité) sur de la « variétoche » française des Cadouin (de Bécaud à Zouk Machine, le père veut devenir le nouveau Roch Voisine de la chanson française) et les moments plus solennels d’Heidi (euh, pardon, de Brita) tout aussi ridicules, le rire se coince dans le gosier et laisse dans la bouche du spectateur un goût acidulé de solitude et de désespoir.

Du caviar avec de la vinasse

D’un côté, Bach et Brita. On apprécie d’ailleurs tout particulièrement la voix off d’Arno Mesguich pour sa lecture de la correspondance entre la jeune fille et son frère. Entre exaltation et mal de vivre, les clichés fusent en même temps que les éclats de rire de la salle. De l’autre, Sheila et la trivialité de la famille Cadouin. Le contraste est saisissant. C’est un peu comme si on vous servait du caviar avec de la vinasse et qu’on vous obligeait à avaler les deux en même temps, cul sec ! Drôle de mélange. Équilibre généralement difficile à trouver. Dans ce décor en carton-pâte et aux couleurs expressionnistes, les comédiens doivent réussir à jouer faux tout en restant justes. C’est un peu comme si on était suspendu, pendant tout le spectacle, à une corde raide, tendue à bloc. Les tensions sont palpables en même temps que les réalités (en permanence) exacerbées.

L’exercice est donc difficile et particulièrement périlleux. Il réclame une gestuelle précise et une concentration énorme. Pour que le soufflé ne retombe pas, les acteurs doivent rester bien homogènes. Pas de doute, les six sont dans leur rôle. À la fin de la représentation, ils en ressortent épuisés. La Cie Teknaï mérite largement ses applaudissements.

On se retrouve enfermé dans cette « maison de poupées » dont les corps désarticulés et caricaturés sont grossis à la loupe. Sous leur maquillage blanchâtre, ils semblent tous plus morts que vivants. Rien. Que du vide. La vacuité d’un monde dans lequel même le romantisme sonne comme une coquille creuse. On cherche cependant les fils de cette gigantesque mascarade… en vain ! Attention, les pantins pourraient être bien réels… 

Sheila Louinet


Brita Baumann, documentaire théâtral et musical de Gaëtan Peau et Quentin Defalt

Cie Teknaï • 86, rue d’Aboukir • 75002 Paris

Mise en scène : Quentin Defalt

Assistant à la mise en scène : Damir Ziško

Avec : Juliette Coulon, Valentine Erlich, Olivier Faliez, Charlotte Laemmel, Emmanuelle Marquis, Gaëtan Peau

Scénographie : Natacha Le Guen de Kerneizon, assistée de Germain Peronne

Costumes : Agathe Laemmel

Maquillage : Valentine Erlich

Création lumière : Manuel Desfeux

Régie compagnie : Julien Barrillet

Conseiller musique classique : Thibault Larger

Enregistrement voix : Arno Mesguich

Traduction des lettres en allemand : Sophie Brafman

Photo : © Quentin Defalt

Théâtre 13 • 103 A, boulevard Auguste-Blanqui • 75013 Paris

http://www.theatre13.com/

Réservations : 01 45 88 62 22

Du 1er mars au 10 avril 2011, représentations les mardi, mercredi, vendredi à 20 h 30, les jeudi et samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 h 30

24 € | 16 € | 11 € | 6 €

Le 13 de chaque mois, tarif unique à 13 €

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