Le dernier pied de nez de Voltaire
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Voici un spectacle rafraîchissant, intelligent, drôle, vif, à l’image de son auteur, un Voltaire qui a dépassé les 60 ans, grâce au talent d’une troupe à peine trentenaire qui a de l’énergie à revendre…
Tirer de l’oubli Voltaire aujourd’hui, l’idée, il est vrai, s’impose. L’auteur du Traité de la tolérance, dont de récents et dramatiques évènements ont fait grimper les ventes, écrivait à la fin de sa vie, retiré d’un monde dont il avait avec lucidité et courage dénoncé les horreurs, un conte philosophique. Candide ou l’Optimisme était comme un testament pour les générations à venir auxquelles il adressait son fameux et énigmatique : « Il faut cultiver son jardin »…
Nous permettre de redécouvrir ce texte est en soi un cadeau : Candide, interprété par un Jonas Marmy sensible, juste et virevoltant, nous emmène à un rythme effréné dans tous les coins de la planète, du Surinam à Constantinople, pour y chercher en vain « le meilleur des mondes possibles » cher à son maître Pangloss, alias Leibniz, et prendre conscience au bout du compte que partout guerres et intégrismes rivalisent d’inventivité pour écraser les libertés, introduire l’iniquité, faire régner la terreur et l’obscurantisme, faire souffrir et tuer les gens.
Voltaire y raconte les bûchers de la sainte Inquisition aussi bien que les désastres naturels, comme le tremblement de terre qui fit à Lisbonne des dizaines de milliers de morts en quelques heures. Si la réalité qu’il décrit s’appuie hélas sur des faits tout à fait avérés, l’auteur narre avec légèreté, comme en se jouant, les crimes les plus abominables : avec l’élégance du désespoir. Ses personnages sont hauts en couleur, leurs noms dignes des meilleurs scénaristes de B.D. pour la jeunesse. Les péripéties s’enchaînent sans aucun souci de vraisemblance. L’ensemble est alerte, pétillant, insolent et extrêmement drôle : pourquoi ennuyer le lecteur (et le spectateur) avec de longues digressions alors que la rapidité du trait garantit son efficacité ? Dès lors, il en rajoute dans le scabreux, histoire de ne pas se prendre au sérieux. Et il donne à ce texte de presque trois siècles un vrai parfum de modernisme : on le croirait écrit hier.
Comme un roman d’aventures d’aujourd’hui
De cette épopée qui traverse les continents, remplace les déserts par des montagnes, alterne scènes d’orgie, viols, autodafés, assassinats, apparitions, magie et autres aventures, et qui pourtant ne dure même pas une centaine de pages, Maëlle Poésy à conservé l’art du condensé et tout l’esprit truculent de Voltaire : sur le plateau, quelques portiques vont suffire à construire schématiquement des échafauds, des châteaux, des navires. Ce sont les acteurs, tous formidables, qui les font exister pour nous. Du vent ? Les voici qui se courbent, oscillent, semblent perdre pied. Un tremblement de terre ? Les voilà de nouveau pris d’une sorte d’agitation irrépressible comme si, effectivement, ils étaient atteints de la danse de Saint-Guy. Faut-il échapper à des hordes de mercenaires qui en veulent à leur peau ? Les voici derechef qui se mettent à courir sur place, nous procurant l’illusion de la vitesse tandis que des flocons tombés des cintres ou le jeu des lumières témoignent du passage des saisons et du temps. Ces jeunes acteurs, qui montrent enthousiasme, énergie et implication à la mesure de celui de l’auteur qu’ils servent si bien, sont donc aussi capables de prouesses gymniques. Endossant les habits de tous les personnages laissés à leur disposition sur les portiques, ils sont sur scène constamment. Ils donnent ainsi le sentiment d’être une troupe, tant la cohérence du spectacle est palpable.
Un spectacle parfaitement maîtrisé, absolument nécessaire par les temps qui courent, résolument optimiste et engagé. Que demander de plus ? ¶
Trina Mounier
Candide – Si c’est ça le meilleur des mondes…, d’après Voltaire
Mise en scène : Maëlle Poésy
Avec : Caroline Arrouas, Roxane Palazzotto, Jonas Marmy, Marc Lamigeon, Gilles Geenen
Écriture et dramaturgie : Kevin Keiss
Adaptation : Kevin Keiss et Maëlle Poésy
Scénographie : Alban Ho Van
Assistante à la scénographie : Hélène Jourdan
Costumes : Camille Vallat
Confection : Juliette Gaudel
Création lumière : Jérémie Papin
Régie lumière : Corentin Schricke
Création sonore et régie son : Samuel Favart‑Mikcha
Régie générale et plateau : Hugo Hazard
Photos : © Vincent Arbelet
Les Célestins • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Réservations : 04 72 77 40 40
Du 24 au 28 février 2015 à 20 heures
Durée : 1 h 45