« Ceux qui errent ne se trompent pas », d’après José Saramago, Théâtre de la Cité‐Internationale à Paris

« Ceux qui errent ne se trompent pas » © Jean-Louis Fernandez

Plus ils pompaient, plus il ne se passait rien

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Présenté à Paris après une programmation au « In » d’Avignon, ce spectacle commence comme une fable politique sous le signe de la pluie et finit en pataugeoire au service du vide de la pensée.

Une journée d’élections marquée par une météo pluvieuse tourne au déluge politique lorsque le dépouillement des scrutins révèle 80 % de votes blancs. L’argumentaire de cette pièce s’annonce plaisant, surtout en cette année de campagnes électorales tous azimuts. Et les moyens matériels colossaux alloués par la production donnent à la mise en scène de Maëlle Poésy et à la scénographie d’Hélène Jourdan la générosité d’un Maxi Best Of Plus Deluxe.

Je sais : il est très vilain de se moquer, surtout quand on parle de « l’enfant prodige du théâtre français » pour reprendre les mots de la presse autorisée. Il est vrai que la mise en espace est magnifique. Et le réglage des mouvements, des danses et des changements à vue est d’une précision irréprochable. On ne peut pas contester à Maëlle Poésy, transfuge de la danse contemporaine, un talent chorégraphique réel. Son sens du rythme et de la musicalité lui permet de monter une performance qui bouge bien. Esthétiquement, c’est assez beau, donc.

Intellectuellement, c’est une autre affaire. L’alerte est lancée avec le surjeu des acteurs dès la première minute. On me dira que c’est une fable, un conte philosophico-politique, une farce dont le curseur a été réglé sur l’absurde. Mais un comédien qui surjoue reste un comédien qui surjoue : c’est laid à voir et à entendre. Difficile de savoir d’ailleurs ce qui, de la direction d’acteur ou des dialogues, est défaillant. Car comment jouer avec sobriété des phrases caricaturales du début à la fin ?

Du satirique au lourdingue

De qui est‑il, ce texte, en fin de compte ? S’adosser à un Prix Nobel de littérature est évidemment un label confort sinon une démarche qualité. Cela permet de limiter les critiques, car il est téméraire de s’attaquer à la prose d’un stockholmisé. Qui oserait dire d’une A.O.C. qu’elle est une piquette ? J’ignore tout, à ma grande honte, de l’œuvre de José Saramago. J’ai cependant feuilleté la Lucidité, point de départ de ce spectacle, qui se présente comme un conte voltairien. Avec la complicité de Kevin Keiss, la jeune metteuse en scène, a trituré le roman de Saramago pour l’adapter à la scène et le faire durer deux heures. Quelques remarques drôles surnagent à la surface d’une vaste flaque de lieux communs. Et les personnages s’agitent comme de petits Shadoks autour d’une machine à pomper dans le vide.

La caricature est l’art de l’amplification, de la déformation, de l’exagération, l’art du faux qui dit vrai à cette condition expresse : être bref. C’est un contresens que de vouloir faire du caricatural un genre long. Deux heures pour nous parler du vote blanc, voilà l’impasse. Là où mon ennui se mue en colère, c’est à la lecture des éloges unanimes sur le « questionnement de la démocratie » par une pièce où je ne vois qu’un antiparlementarisme primaire. Le vote blanc, comme tous les votes protestataires, exprime certes un désespoir. Mais voter, ce n’est pas choisir le candidat parfait pour administrer le monde des Bisounours, c’est choisir, entre deux options, la moins catastrophique, puisque la vie d’adulte nous oblige à prendre parti. Aux artistes qui nous infligent une leçon de morale un peu puérile, en nous dépeignant la démocratie comme une suprême dictature, je riposterai en assénant du Churchill : « La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». 

Élisabeth Hennebert


Ceux qui errent ne se trompent pas, d’après José Saramago

Texte : Kevin Keiss, en collaboration avec Maëlle Poésy d’après la Lucidité de José Saramago

Mise en scène : Maëlle Poésy

Avec : Caroline Arrouas, Noémie Develay‑Ressiguier, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian

Scénographie : Hélène Jourdan

Lumières : Jérémie Papin

Son : Samuel Favart‑Mikcha

Costumes : Camille Vallat, Chantal Bachelier, Juliette Gaudel

Vidéo : Victor Egea

Construction et régie générale : Jordan Deloge

Théâtre de la Cité-Internationale • 17, boulevard Jourdan • 75014 Paris

Métro : R.E.R. B, Cité-Universitaire

Mardi 13 décembre 2016 à 20 heures, jeudi 15 à 19 heures (rencontre avec l’équipe à l’issue de la représentation), vendredi 16 à 20 heures, samedi 17 à 19 heures et dimanche 18 à 16 heures

Durée : 2 heures

Tarifs : 22 €, 13 €, 11 € et 7 €

www.theatredelacite.com

Tournée :

  • 10 et 11 janvier 2017 au Théâtre‑Sénart à Lieusaint
  • 18 et 19 janvier à Sartrouville
  • 26 janvier à Valenciennes
  • 31 janvier à Saint‑Étienne-du‑Rouvray

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