« Comédiens », de Renaud Fulconis, Théo Théâtre à Paris

« Comédiens © D.R.

Viens voir les comédiens

Par Corinne François-Denève
Les Trois Coups

La vie d’une troupe, ses heurs et malheurs, ses querelles d’ego, ses difficultés, du lycée à la scène : une série de sketches portés par des acteurs jeunes et frais, qui parlent forcément aux amateurs de théâtre.

Il y a, nous avait un jour expliqué la directrice d’une salle de spectacles prestigieuse, une malédiction à faire jouer une pièce sur le théâtre. Ce genre serait voué à l’échec (on ne pensera pas à Thé à la menthe ou t’es citron ou aux Guitrys), car le public, forcément non comédien, se sent exclu de ces « private jokes » qui ne font rire que gens du métier. D’ailleurs, ces pièces ne seraient pour leurs auteurs que prétexte à règlements de comptes – rien de tel pour se fâcher avec les « professionnels de la profession ». Et puis la mise bout à bout de « choses vues », cocasses ou pittoresques, issues du milieu du théâtre, n’aurait jamais fourni l’ossature d’une écriture solidement charpentée.

On voit avec quel handicap de départ démarre Comédiens. Paradoxalement, Comédiens débute par la représentation d’une « dernière », qui va se jouer derrière le rideau qui orne le fond du plateau et reste invisible, sauf en transparence, aux « vrais » spectateurs. Comédiens, en effet, raconte les coulisses du métier. Les « comédiens » nous expliquent d’ailleurs qu’ils vont nous raconter l’histoire de cette troupe, qui commence par la rencontre de Seb et de Chloé au club théâtre de leur collège.

Buffet garni

Comédiens déroule toute une série de séquences plus ou moins reliées entre elles, que les familiers du théâtre reconnaissent, même sans les avoir pratiquées : exercices de respiration, de cris primaux, metteur en scène qui ne jure que par l’impro, ou au contraire que par le texte, casting sadique par une féministe qui n’a lu que Sarah Kane et Pierre Guyotat, et n’en a manifestement rien retenu, alexandrins ânonnés jusqu’à l’absurde, crayon en bouche, et (in)dispensable séjour avignonnais, écrasé de chaleur et d’intermittents.

À multiplier les exemples de cours, de procédés aberrants, de gens en souffrance ou en errance, l’argument semble se perdre de temps à autre, en dépit de son apparence didactique. Cela est d’autant plus visible que les discours, souvent, se croisent, ou se superposent, parfois jusqu’à l’inaudible. Les répliques des acteurs se chevauchent les unes les autres, créant une cacophonie qui est voulue, par effet de style – ou qui parfois témoigne d’une certaine maladresse, ou d’un manque de précision scénique. On apprend donc qu’il y a à boire et à manger dans le milieu théâtral, et cette série de sketches propose un buffet garni qui peut paraître trop abondant, et qui est souvent inégal. Oui, le théâtre est formé d’autant de gourous que de charlatans, de divettes que de vraies stars pleines d’humilité, oui, le réseau fait tout, et ne peut rien.

L’ensemble est hétéroclite, souvent gauche, souvent caricatural, fait d’un bric-à-brac de séquences pour initiés – mais ce sont là les défauts inhérents au « genre », forcément satirique. La troupe est sympathique : les acteurs sont jeunes et apportent sur le plateau un dynamisme qui peut être brouillon. Mais, si l’expression n’avait pas, comme on nous l’explique dans la pièce-même, un sens codé en jargon théâtral, on dirait de cette troupe qu’elle a « une belle énergie ».

En fait, on préfère les vingt minutes de la fin, où l’on reprend là où l’on avait commencé, à cette dernière des Dinosaures, et où une bien étrange émotion pointe soudain. En ligne, les « comédiens » (mais sont-ce les personnages ? ou les « vrais » comédiens que l’on voit sur le plateau ?) se souviennent de leur première fois. Leur première fois dans une salle polyvalente, en 6e, où ils devaient soulever des draps bleus pour faire la mer. Et où ils ont compris que, ce jour-là, en dépit « des figus, des castings, des jours trop vides et des amitiés éphémères », pour eux, ce métier serait celui-là.

La « pièce sur le théâtre », habilement, se conclut sur une ode au jeu qui ne peut que trouver des échos parmi les spectateurs qui sont venus voir Comédiens. Du comique, on verse dans un certain pathétique. Et le plus étrange, dans ce changement de ton final, est sans doute que le seul à persévérer dans le métier, dans Comédiens, « Seb », est aussi joué par le comédien qui est certainement le plus convaincant de toute la troupe : François Bérard, démarche élastique, sourire en coin qui en sait plus qu’il ne veut dire, et rage dans l’œil. 

Corinne François-Denève


Comédiens, de Renaud Fulconis

Mise en scène : Renaud Fulconis

Avec : Marion Arlès, François Bérard, Cécile Élias, Jean‑François Germain, Cyril Nguyen

Théo Théâtre (grande salle) • 20, rue Théodore-Deck • 75015 Paris

01 45 54 00 16

Jusqu’au 4 mars 2015, le mercredi à 21 heures (sauf le 18 février)

Durée : 1 h 25

12 € | 16 € | 20 €

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