« Cosmos [Un jour je vous raconterai une autre aventure extraordinaire] », d’après le roman éponyme de Witold Gombrowicz, le Monfort à Paris

« Cosmos » © Nicolas Boudier

« Une autre aventure extraordinaire »

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Stimulant, dérangeant et fascinant : tel est le nouveau spectacle de la Cie Haut et court : « Cosmos ». Labyrinthe de signes, jeu sur nos perceptions, cette adaptation poétique du roman éponyme de Witold Gombrowicz n’a pas fini de nous hanter.

Oh là là, une adaptation de roman ? D’un auteur polonais ? De l’auteur de la Pornographie de surcroît ? Est‑ce bien raisonnable ? Si à l’heure de consulter les programmes de théâtre, vous vous posez ce genre de questions, n’hésitez plus : Cosmos n’est pas qu’un spectacle, c’est une expérience. On en sort (mais, justement, le verbe n’est pas totalement adapté) plein d’interrogations que l’on ne peut écarter, de visions obsédantes. L’œil et l’esprit sont aux aguets, comme après un film de David Lynch, une nouvelle de Borges ou de Cortázar.

Et, de fait, face à la nouvelle création de Joris Mathieu, l’on pense à mille et un livres alors que ce qu’on a vu ne ressemble à aucun. Cosmos est bien plus qu’une adaptation. Car l’expérience qu’offre le spectacle ressemble à celle que dépeignent Marcel Proust ou Maurice Blanchot quand ils élaborent une phénoménologie de la lecture. Elle nous arrache à l’instant, nous happe, nous situe au‑delà ou en deçà de la compréhension. Ici, grâce à un dispositif sonore subtil, nous entendons les mots écrits par Gombrowicz, et ils nous guident autant qu’ils nous perdent. Ils sont dans le spectacle, comme l’air du joueur de flûte d’Hamelin.

C’est d’ailleurs un autre des charmes du spectacle que de nous confronter à ce qui dépasse notre intelligence. Comme le narrateur, nous pourrions murmurer : « Je sais que quelque chose m’échappe ». Cosmos est en effet une mécanique diabolique. Le mouvement d’un plateau tournant nous dissimule toujours une partie de la réalité. Inexorable, il se poursuit sans nous et même sans les personnages. Car ces derniers ressemblent à ces figurines dont l’apparition est déterminée par l’horloger (l’auteur, le dieu mauvais) qui a remonté le mystérieux mécanisme.

Une étrange enquête

En apparence et en partie, Cosmos relate une enquête. Witold, le narrateur, débarque dans un village où il rencontre par un étrange hasard un ami : Fuchs. Étrangement encore, il se produit dans ce lieu des faits minuscules mais inquiétants : un moineau est la première victime d’une série erratique de pendaisons. Les hôtes de la pension de famille où sont hébergés Witold et Fuchs ont en outre de quoi déconcerter : le père parle une langue poétique faite de néologismes ; la mère, quand elle est saisie par une crise, frappe compulsivement ce qui lui tombe sous sa main ; la servante a la lèvre fendue ; et la fille de la maison a l’allure d’une Lorelei mal mariée. Il y a vraiment quelque chose de pourri dans ce royaume provincial : le désir y est lié à la mort. La médiocrité du petit bureaucrate dissimule peut-être la folie assassine.

Mais l’enquête n’est ici qu’un aspect d’une remise en cause généralisée des signes. Nous passons du polar à la métaphysique. Tout se met à faire signe, donc, et d’étranges cartographies, comme celles des bouches, apparaissent. C’est pourquoi la logique part à vau‑l’eau, comme le montrent les belles images que la Cie Haut et court projette. Des bandes d’images courent dans des sens opposés. Le sol rejoint le faîte des arbres. Laideur et beauté se confondent. L’immobilité ne se distingue plus tout à fait du mouvement.

Par ailleurs, un beau travail sur le son et la musique brouille nos perceptions : ainsi, le bruit de la mastication prend autant de valeur que les mots. En définitive, chaque son prend place dans une partition savante et raffinée où les échos abondent. De la même manière, la scénographie recompose perpétuellement des images, tandis qu’une loupe remet en cause nos hiérarchisations visuelles. Nous avons l’œil collé sur un judas, voyeurs fascinés. Mais dans le trou de la serrure apparaît un monde.

Cosmos propose donc une œuvre à savourer, un ravissement pour l’œil et un rébus indéchiffrable pour l’esprit : à voir. 

Laura Plas


Cosmos (Un jour je vous raconterai une autre aventure extraordinaire), d’après le roman éponyme de Witold Gombrowicz

Gallimard, « Folio », 1973

Traduction : Georges Sédir

Cie Haut et Court

Mise en scène et adaptation : Joris Mathieu

Avec : Philippe Chareyron, Franck Gazal, Vincent Hermano, Rémi Rauzier, Marion Talotti, Line Wiblé

Scénographie : Nicolas Boudier, Joris Mathieu

Musique : Nicolas Thévenet

Photo : © Nicolas Boudier

Le Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris

Réservations : 01 56 08 33 88

Site du théâtre : www.lemonfort.fr

Du 12 novembre au 7 décembre 2013, du mardi au samedi à 20 h 30, samedi et dimanche à 16 heures

Durée : 1 h 30

25 € | 16 € | « pass » deux spectacles en une soirée : 28 €

Tournée :

  • Le 17 décembre 2013 : Scènes du Jura-Théâtre de Lons-le‑Saulnier
  • Du 15 au 18 janvier 2014 : Le Trident, S.N. de Cherbourg
  • Du 28 au 31 janvier 2014 : Comédie de Caen
  • 11 et 12 février 2014 : l’Hexagone-S.N. Meylan
  • Du 18 au 21 février 2014 : Comédie de Saint‑Étienne
  • Du 25 février au 1er mars 2014 : les Célestins à Lyon
  • 12 mars 2014 : l’Arc-S.N. du Creusot
  • 25 et 26 mars 2014 : le Relax à Chaumont
  • 1er avril 2014 : espace Jean‑Legendre à Compiègne
  • Du 8 au 10 avril 2014 : Comédie de Saint‑Étienne
  • 23 et 24 avril 2014 : Théâtre Sorano à Toulouse
  • 16 mai 2014 : la Méridienne à Lunéville
  • 20 mai 2014 : Théâtre de l’Archipel, S.N. de Perpignan
  • Novembre-décembre 2014 : Bonlieu, S.N. d’Annecy
  • la Passerelle, S.N. de Gap
  • T.U. à Nantes

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