« Cyrano m’était conté », de Sotha, Café de la gare à Paris

Cyrano m’était conté © Rony

Cyrano ou l’épopée d’un nez…

Par Praskova Praskovaa
Les Trois Coups

« Cyrano m’était conté » : le pastiche de Sotha fleure bon l’audace, la pétulance et de solides années à œuvrer dans le répertoire de nos grands penseurs et poètes. L’auteure est une artiste multitâche. Elle signe la mise en scène, les costumes et les éclairages de cette comédie tournoyante où règne l’esprit de troupe. Ici, tout est partagé : un verre de vin, le verbe et l’humour.

Paris, 41 rue du Temple, une cour pavée, on entre. Est-ce une brocante ? Une bibliothèque ? Non ! C’est un petit théâtre, dont l’ossature rappelle à chacun celle de son école passée. Sur le plateau, quelques tentures désuètes reproduisent l’atmosphère d’un Paris xviie défraîchi. Musique de cour et costumes à l’avenant : on se croirait au milieu d’une foire parisienne devant une farce représentée sur des tréteaux.

L’intérêt principal réside dans le jeu des comédiens, à travers leurs débordements oraux et leur gestuelle. La narration teintée d’insolence se déploie au cœur du « Grand Siècle ». Texte et mouvements scéniques se combinent pour occuper l’espace et le faire vibrer : théâtre déclamé, combats de fleurets, chants de corps de garde, joutes verbales et bouffonneries élégantes s’enchaînent à un rythme virevoltant comme dans une saltarelle endiablée. La matière textuelle est grandiloquente, précieuse, rythmée, coquette : elle roule dans la bouche des acteurs, qui s’en délectent. Eux s’amusent, nous on s’esclaffe. Pas de ralenti dans cette mise en scène très physique, où les génuflexions abondent autant que les rimes.

La distribution est très soudée. Cinq acteurs endossent alternativement les rôles de dix‑huit personnages, tous énamourés d’une seule et même femme rebelle : la pétillante Roxane. Dans une succession de vers bienséants et gouleyants, les artistes au langage courtois s’échangent tour à tour le nez magique dans l’espoir de culbuter la belle.

Délicieuse Christine Anglio

Auteurs, seigneurs et mousquetaires se pressent autour de l’intouchable, incarnée par Christine Anglio, délicieuse dans son maintien et son élocution, qui manie également la lame avec dextérité. Elle est dotée d’un vrai profil pour le théâtre classique. De son côté, Philippe Manesse, articulant les scènes un peu à la manière d’un Monsieur Loyal, dynamise l’ensemble par sa présence éclatante au sein de l’équipe. Hilarant, grimé en valet de comédie multirôle (5), il est tour à tour l’enfant Cyrano zozotant, le poète-pâtissier Ragueneau, un capucin, etc. Avec ses mimiques et sa façon de baragouiner désopilante, il use et abuse de modulations vocales appropriées qui élèvent la caricature au rang des beaux-arts. Il va même jusqu’à pousser son comparse, le flamboyant Pierre‑Jean Cherer, à l’improvisation.

Cet impromptu oratoire jouissif pour la salle est plus que périlleux pour le flux verbal de l’acteur. En danger, il relève néanmoins ce défi imprévu avec panache. Servi par un physique puissant, cet acteur né distille son talent en jouant avec une égale vitalité un Porthos charismatique, un de Guiche insidieux et suffisant, un Cyrano poignant. Ange Ruzé, lui, campe un d’Artagnan élégant et un Bergerac blessé, digne et attendrissant. Timothée Manesse n’est pas en reste : il excelle dans l’habit de Jean‑Baptiste Poquelin. Arborant un profil de jeune premier fringant à la voix de stentor, il défend ses tirades et chacun de ses cinq rôles avec lustre.

N’oublions pas pour autant l’auteur Sotha pour la qualité ciselée de sa narration et la vivacité de sa mise en scène. Si on y ajoute la complicité artistique des comédiens, la devise de Tous pour un, un pour tous sied à merveille. En tout cas, on assiste à une épopée en capes et épées inventive, à l’ambiance parodique des Monty Python. Le Café de la gare offre ainsi un spectacle parfaitement rythmé qui se révèle une œuvre brillante. « À la fin de l’envoi… Sotha touche ! » 

Praskova Praskovaa


Cyrano m’était conté, de Sotha

Mise en scène : Sotha

Avec, par ordre d’apparition : Philippe Manesse (Savinien, Montfleury, Ragueneau, Carbon, Capucin et Catherine), Christine Anglio (Madeleine, Athos, Isabelle, Roxane et Le Bret), Pierre‑Jean Cherer (Porthos, de Guiche et Cyrano), Ange Ruzé (d’Artagnan, Cyrano et Condé), Timothée Manesse (Aramis, Molière, Cyrano, Christian et Le Bret)

Musique : Christian Fabrice

Décors : Nils Zachariasen

Chorégraphie : François Rostain

Lumières : Sotha

Costumes : Sotha

Nez : La Fleuj

Photo : Rony

Café de la gare • 41, rue du Temple • 75004 Paris

Réservations : 01 42 78 52 51

À partir du 16 juillet 2010, dimanche, lundi, mardi à 20 h 30, vendredi, samedi à 21 h 30

Durée : 1 h 30

24 € | 20 € | 15 € | 10 €

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