« Cyrano Project », la Mouche à Saint‑Genis‑Laval

Cyrano Project © Émile Zeizig

Cavalier seul

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Pari réussi pour Jérôme Sauvion et sa compagnie La Face nord avec « Cyrano Project » qui défient les cinq actes du « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand.

À la veille d’une première, un metteur en scène reçoit une série d’appels téléphoniques. Tous ces messages lui apprennent que ses principaux collaborateurs renoncent à jouer Cyrano de Bergerac. Leurs motifs : la peur de l’enjeu, la volonté de gagner plus d’argent, le narcissisme prétentieux. Un temps effondré, seul dans la pénombre du plateau, il décide de passer outre et s’engage à interpréter l’œuvre en solo. Superbe défi qui le lance à corps et à cœur perdus dans la représentation de la pièce. Il choisit avec panache de concentrer l’essentiel de l’œuvre-fleuve de Rostand, se mobilise sur tous les personnages principaux et incarne tour à tour Cyrano, Roxane, Christian, le comte de Guiche, Valvert, Lignière, Montfleury, Ragueneau, les cadets de Gascogne. Il se focalise enfin sur le thème central de la comédie dramatique : les différentes stratégies de l’aveu amoureux. Cyrano Project, avec quelques coupures dans le texte original, dessine une émouvante « carte de tendre » en temps de guerre et en temps de paix. Roxane entre émoi sensuel et coquetterie, Cyrano entre passion fiévreuse et refoulement maladif, Christian entre désir impétueux et inexpérience adolescente, le comte de Guiche entre domination machiste et renoncement vengeur, restituent les enjeux profonds du récit en alexandrins. Sans que cette « réduction », comme on dit en langage orchestral, n’altère la puissance des mots et des situations proposés par l’auteur.

Riche dénuement

Jérôme Sauvion, concepteur et interprète, et Caroline Boisson, metteuse en scène, ont judicieusement opté pour une dramaturgie de la pauvreté. Honnête clin d’œil à leurs conditions de production et intelligente attitude artistique pour éviter d’être écrasé par l’œuvre monumentale de Rostand qui, au théâtre comme au cinéma, ne donne lieu qu’à des réalisations coûteuses. Du dénuement naît un spectacle avec quelques accessoires, des lumières précises et suffisantes, un son économe et juste. Et c’est sur le fond même de l’histoire de Cyrano de Bergerac qu’ils en tirent le plus grand profit. Pas d’effets lyriques, pas de fresques pittoresques ou guerrières, mais une invitation plus humaine, plus sensible à se rapprocher des personnages, une attention soutenue aux subtilités du discours amoureux. De plus, le recours à des gestes simples, à des attitudes corporelles esquissées, à des inflexions de voix nuancées, édifie un vocabulaire dramatique parfaitement lisible dans lequel la distance et l’humour trouvent aussi leur place. Des scènes comme celle où Christian, au pied du balcon de Roxane, tente de lui avouer son amour avec les mots que lui souffle Cyrano, caché dans l’ombre, ou encore celle de la dernière rencontre entre Roxane et Cyrano mourant sont remarquables d’une émotion exprimée et contenue à la fois.

Poignante solitude

Au terme du spectacle, Cyrano (Jérôme Sauvion), blessé à mort et juché sur une haute chaise, tend son regard vers la lune, appel désespéré pour que lui soient au moins reconnus son panache et sa générosité d’âme. Simple image d’une bouleversante humilité qui renvoie par sa maîtrise à toutes celles qu’il construit pour les autres figures de Cyrano Project. Souci constant de rigueur, de justesse avec l’exigence de renoncer à tout effet, à toute complaisance. Ses multiples interprétations fascinent comme les exploits d’un jongleur ou d’un cavalier que la solitude oblige à se dépasser.

J’ai assisté à l’avant-dernière représentation de la tournée dans la métropole lyonnaise. C’était une matinée réservée aux grands collégiens et aux lycéens. Écoute dense et plaisir partagé. Ce Cyrano mérite de reprendre la route pour le bonheur des jeunes et des adultes.

Michel Dieuaide


Cyrano Project, d’après Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand

Conception et jeu : Jérôme Sauvion

Mise en scène : Caroline Buisson

Costumes et accessoires : Gladys Glover

Création lumière et régie générale : Pascal Nougier

Photos : © Émile Zeizig

Production : La Face nord Cie

www.facenordcie.net

La Mouche, théâtre de Saint-Genis-Laval • 8, rue des Écoles • B.P. 80 • 69565 Saint‑Genis‑Laval

www.la-mouche.fr

Courriel : contact@la-mouche.fr

Tél. 04 78 86 82 28

Représentations : le 3 décembre 2015 à 14 heures et 20 h 30

Durée : 1 h 20

Tarifs : 16 €, 13 €, 9 €

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