« Doreen », de David Geselson d’après « Lettre à D » d’André Gorz, Théâtre de la Bastille à Paris

« Doreen » de David Geselson © Charlotte Corman

Songe à la douceur 

Par Laura Plas
Les Trois Coups

David Geselson adapte au théâtre la belle « Lettre à D. » d’André Gorz. Un spectacle pudique et subtil qui crée l’intimité entre les spectateurs et les amants incarnés. Splendide.

Ils se sont connus, se sont reconnus. Puis durant plus de cinquante ans, ils ont vécu ensemble, avant de mourir ensemble. Lui, c’est André Gorz, l’auteur du Traître, le chroniqueur des Temps Modernes et le cofondateur du Nouvel Observateur. Elle, c’est Dorine, celle dont le rire et la vivacité viennent briser les dogmatismes, y compris ceux de son philosophe de mari. Alors qu’elle avait quatre-vingts six ans et se mourait, il lui a écrit la Lettre à D. Histoire d’un amour. Cette magnifique déclaration exprimait le souci de trouver le mot juste et de biffer les outrances des écrits passés.

L’adaptation de David Geselson offre les mêmes qualités. Loin d’exploiter la portée mélodramatique de la lettre (la maladie, la mort), le metteur en scène choisit la pudeur, par de légers décalages. Ainsi, les amants octogénaires sont incarnés par des acteurs bien plus jeunes. L’homme ne porte pas le nom d’André mais de Gérard, Dorine devient Doreen. Souvent, les voix du couple se contredisent avec tendresse. L’humour naît alors en contrepoint à la gravité. D’ailleurs, la dramaturgie instaure des va-et-vient entre passé et présent, entre les cris et chuchotements de la maladie et les douces scènes de la vie conjugale.

La chanson douce des vieux amants

La théâtralité du spectacle est atténuée au bénéfice de l’intimité : parfois le jeu laisse place à la lecture, faite par les interprètes ou proposée aux spectateurs. Les deux comédiens nous parlent mezzo voce. Leurs regards s’attardent alors sur l’un de nous comme pour des confidences. Leur incarnation, d’un naturel confondant, nous donne ainsi l’impression de surprendre ces conversations que seuls les vieux amants peuvent avoir : faites de sous-entendus, tissées de moments partagés.

La sobriété de la scénographie conforte cette sensation. Car nous sommes introduits dans le salon du couple, comme des invités à une soirée. Nous pouvons même y boire un verre, entendre des bribes de conversations : lui s’occupe des uns, elle des autres. Le dispositif quadri-frontal nous place au plus près de ces hôtes dont nous pouvons partager la table. Cette proximité permet d’apprécier la finesse du jeu de Laure Mathis et David Geselson.

Si André Gorz se plaignait de la distance qui sépare les mots de l’existence, si le théâtre peine souvent à faire percevoir les petits riens qui font une vie d’amour, une vie tout simplement, Doreen offre ici un petit miracle, celui que Doreen nomme « la possibilité de la douceur »

Laura Plas


Doreen, de David Geselson

Le texte est édité aux éditions Lieux-dits

D’après Lettre à D. Histoire d’un amour, d’André Gorz édité aux éditions Galilée

Mise en scène : David Geselson

Avec : David Geselson et Laure Mathis

Durée : 1 heure

À partir de 15 ans

Extrait vidéo

Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris

Du 7 au 30 janvier 2019 à 19 h 30, vendredi 11 et samedi 12 janvier à 20 h 30, samedi 26 janvier à 17 heures et 19 h 30, relâche les dimanches et le jeudi 10 janvier

De 13 € à 27 €

Réservations : 01 43 57 42 14


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