« Empreintes », de Michel Aulas, Théâtre des Marronniers à Lyon

Empreintes © Serge Sang

Triste vendange

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Pour fêter le trentième anniversaire de sa direction à la tête du Théâtre des Marronniers, Yves Pignard adapte, met en scène et joue « Empreintes ».

Professeur de lettres, journaliste de la presse quotidienne régionale, collecteur et auteur de récits enracinés dans sa terre d’élection, le Beaujolais, Michel Aulas, aujourd’hui disparu, fournit la matière littéraire d’Empreintes.

Une quinzaine de textes de dimensions variables, mais presque tous animés d’une humeur cocasse et bucolique, se succèdent. Blagues racontées à une terrasse de bistrot ou à l’ombre d’un cuvage, confidences de confessionnal, conversations familiales ou discussions lors d’évènements municipaux. Trois histoires, les plus belles sans doute, prennent leur distance d’avec la passion du terroir : Pégasio, les Amis d’un seul été, Autant en emporte le Rhône. Elles ont l’intérêt de s’élever poétiquement jusqu’à une portée symbolique habitée d’un humanisme profond.

Le spectacle se déroule comme un menu à savourer plat après plat ou plutôt, beaujolais oblige, comme une carte des vins à déguster cru après cru. Pour accompagner les spectateurs, une voix unique, celle d’Yves Pignard. Il interprète toutes les figures croquées par le chroniqueur, sorte de galerie de stéréotypes ruraux et citadins du temps passé. Pour mener à bien sa performance, il est entouré de deux musiciens, d’un grand chevalet portant un écran sur lequel sont projetées des aquarelles et des peintures, de quelques pierres dorées et de rustiques barrières aux allures de ceps de vigne. À jardin et à cour, de petits podiums, l’un supportant une chaise-escabeau, l’autre un micro sur pied, délimitent des espaces de jeu. Au centre du plateau, un pupitre accueille les textes qui sont lus. Tous ces éléments concourent à la réalisation de ce que l’équipe artistique du Théâtre des Marronniers nomme un « théâtre musical imagé ».

Difficile héritage

Yves Pignard a du métier, et c’est indiscutable. Son parcours de comédien et de metteur en scène en témoigne. À l’occasion d’Empreintes, il est nécessaire de rappeler son travail au côté de Gérard Guillaumat, exceptionnel acteur et incomparable conteur du T.N.P. dirigé par Roger Planchon. Trente années se sont écoulées depuis leur première rencontre, déjà autour de textes de Michel Aulas. Décevant aujourd’hui de constater que l’élève n’a pas hérité des qualités du maître. Bien que doté d’une diction impeccable et d’un corps souple, Yves Pignard renonce ici aux nuances. Seulement esquissés, constamment caricaturaux, les personnages qu’il incarne ne provoquent que de superficielles émotions. Seuls les instants où il lit sont porteurs de sensibilité. Le surjeu disparaît et les mots tracent enfin des chemins pour l’imaginaire.

Force est de reconnaître que ce qui touche le plus, ce sont les subtiles aquarelles de Dominique Simon qui viennent clore chacune des séquences de jeu ou de lecture. Cadrées comme des plans cinématographiques, utilisant de raffinés dégradés de gris, ponctuées d’éclats colorés discrets, elles apportent au spectacle ses vrais moments de vie, pittoresques, heureux, mélancoliques, satiriques. Il y a chez Dominique Simon l’innocence et l’énergie d’un monde poétique que ne renierait probablement pas le magistral Jean‑Jacques Sempé.

Dommage qu’Yves Pignard, emporté par son empathie beaujolaise, ne se soit pas plus appuyé sur l’univers à l’humour délicat révélé par les aquarelles. Ses filles légères, ses gendarmes obtus, ses paysans malins, ses bigotes malveillantes, ses voyageurs de commerce perdus, ses bourgeoises prétentieuses ou ses enfants têtus auraient composé ainsi une comédie humaine bien plus attachante.

Pour tempérer ma déception et pour espérer qu’Yves Pignard puisse rapidement se reprendre grâce à son expérience et aux nombreuses représentations qui l’attendent, je dois dire que j’ai assisté à une première assez particulière. La salle était constituée en majorité d’un public d’élus, de partenaires publics et privés et de membres de la famille de Michel Aulas.

Trop d’enjeu, trop d’émotion ? Une volonté de se surpasser, quand on sait quelle mission à haut risque est de faire vivre un théâtre ? Jouer face aux décideurs d’une partie de son avenir n’est pas chose aisée. Je souhaite à Yves Pignard, tel l’enfant poète et obstiné d’un des récits de son spectacle, de continuer à voir un avion dans la forme d’un crucifix. 

Michel Dieuaide


Empreintes, récits de Michel Aulas

Adaptation, jeu et mise en scène : Yves Pignard

Paysages sonores et musiques composées par : Serge Folie

Illustrations : Dominique Simon

Piano, claviers, bruitages, percussions, sanzula, daf : Serge Folie

Crotales, dulcimer, bazantar, percussions : Mickaël Paquier

Mise en image des illustrations : Tanguy Guézo

Conception et réalisation du décor : Bernard Bourbon

Peintures décoratives : Vilma Aberola

Voix : Valérie Zipper

Lumières et régie : Xavier Davoust

Photo : © Serge Sang

Production : Théâtre des Marronniers, en partenariat avec le C.C.A.B. (Centre culturel associatif beaujolais)

Théâtre des Marronniers • 7, rue des Marronniers • 69002 Lyon

www.theatre-des-marronniers.com

Courriel : infos@theatre-des-marronniers.com

Tél. 04 78 37 98 17

Représentations : du 10 au 21 décembre 2015 à 20 h 30, dimanche à 17 heures, relâche les 15 et 16 décembre 2015

Durée : 1 h 15

Tarifs : 15 euros, 12 euros, 8 euros

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