« Enfablées ! », d’après Jean de La Fontaine, Comédie Bastille à Paris

« Enfablées » © Carabistouilles & Cie

Des fables…
pour quel public ?

Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups

« Enfablées ! » nous invitent à suivre deux comédiennes qui pénètrent dans un gros grimoire, « les Fables » de Jean de La Fontaine. Le public (re)découvre avec elles « la Cigale et la Fourmi », « le Loup et le Chien », « le Héron » et bien d’autres encore.

Le premier plaisir que procure donc ce spectacle, c’est celui du texte. Nul doute que les Fables de La Fontaine remplissent bien les deux fonctions que prônait la littérature du xviie siècle : placere et docere, « plaire et instruire ». Ces apologues savent en effet nous faire réfléchir et semblent parfois d’une étonnante modernité. Tout le monde connaît la Cigale et la Fourmi, fable sans moralité explicite. Le fabuliste y évoquait la dure condition des poètes de son temps, qui devaient trouver un généreux mécène. Mais la célèbre réplique finale de la fourmi, qui reproche à l’artiste de ne pas avoir travaillé suffisamment, incite les spectateurs d’aujourd’hui à considérer sous un jour nouveau la question de l’intermittence ! De plus, les Fables sont des poèmes, dans lesquels alternent vers longs et vers brefs, dans un ensemble très musical. Les interprètes le font clairement entendre lorsqu’elles slament ou chantent certains passages.

Il ne s’agit pourtant pas d’une lecture du texte de Jean de La Fontaine. Bien au contraire, la mise en scène d’Héloïse Martin est riche en inventions. Tantôt apparaissent sur le plateau des lectrices aux très (trop ?) expressives mimiques, tantôt des animaux, grâce à des masques, des marionnettes, ou des ombres chinoises. Ainsi, à chaque nouvelle fable, la scène se transforme et les deux comédiennes se font caméléons, changeant de rôle mais aussi de fonction. Par exemple, les différents mets que néglige le Héron se dévoilent en ombre chinoise. Le Lièvre et la Tortue sont joués par les deux interprètes : le Lièvre, c’est un masque et un déhanchement de coureur, la Tortue, c’est une carapace et une démarche pesante.

La multiplicité de ces changements de décors, costumes et accessoires pourrait alourdir la mise en scène, mais le rythme reste enlevé et les Fables s’enchaînent allègrement.

À qui s’adresse ce spectacle ?

Et c’est peut-être là que le bât blesse. En effet, le spectacle s’adresse à un jeune public, des enfants de quatre ans ou plus. Or, il apparaît que les enfants peinent à s’y retrouver. Il ne s’agit pas bien sûr de s’offusquer que des enfants de quatre ans ne saisissent pas tous les enjeux des fables, ce serait ridicule… Mais on ne peut que regretter qu’un spectacle qui réaffirme avec le poète, à deux reprises, « Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes », passe à côté de son public. En effet, la langue du xviie siècle a vieilli, d’aucuns diraient même que c’est là que réside une partie de son charme. Elle est difficile à comprendre parfois, a fortiori par des enfants.

Or, la mise en scène n’aide que très rarement à la lisibilité. Les trouvailles visent à surprendre, à capter l’attention labile des enfants, mais elles ne favorisent pas l’intelligibilité du texte. Pour des petites filles de six ans, le spectacle se révèle donc décevant. Elles n’entendent pas vraiment le texte, sauf quand elles le connaissent pour l’avoir déjà croisé à l’école ou dans des albums illustrés et ne s’intéressent qu’aux images scéniques. Elles finissent alors par juger le spectacle quelque peu ennuyeux. Il faut ajouter qu’il leur est d’autant plus difficile d’apprécier pleinement « le monde merveilleux des Fables de La Fontaine » que la Comédie Bastille n’encourage pas les adultes à s’installer sur les côtés ou au fond et qu’ils cachent bien souvent la scène aux plus jeunes spectateurs.

On sort donc partagé de cette représentation. Séduit par la poésie classique et amusé par les manipulations, on aimerait s’enthousiasmer pour ce spectacle. Pourtant, les adultes le trouvent parfois un peu enfantin, dans le jeu appuyé des comédiennes par exemple, tandis que les enfants sont rebutés par des propositions difficiles à saisir. Il n’en reste pas moins qu’écouter les Fables de La Fontaine est un plaisir trop rare pour qu’on le boude. 

Anne Cassou-Noguès


Enfablées !, d’après Jean de La Fontaine

Mise en scène : Héloïse Martin

Contact : carabistouillescie@gmail.com

Avec : Pauline Klein ou Violette Mauffet et Héloïse Martin ou Solen Le Marec

Scénographie : Candice Moise et Victor Melchy

Musique : Hervé Jamet

Création des masques et des marionnettes : Edwige Latrille

Création visuelle : Olivier Dentier

Lumières : Johanna Dilolo et Anne Bigou

Comédie Bastille • 5, rue Nicolas-Appert • 75011 Paris

Réservations : 01 48 07 52 07

Site du théâtre : www.comedie-bastille.com

À partir du 19 septembre, le samedi à 14 h 30 (du lundi au samedi à 14 h 30 pendant les vacances de la Toussaint et de Noël)

Durée : 55 min

16 € | 10 €

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