Entretien avec Arny Berry, metteur en scène de « Macbeth », de William Shakespeare, Théâtre 13 à Paris, du 5‑11 au 15‑12‑2013

Arny Berry © D.R.

Exorciser nos pires instincts

Par Vincent Cambier
Les Trois Coups

Arny Berry va mettre en scène « Macbeth », de Shakespeare, au Théâtre 13 à Paris, puis au Théâtre du Chêne‑Noir à Avignon. Entretien.

As-tu déjà mis des spectacles en scène ?

Oui. Pour parler des plus importantes, il y a eu l’Empire au Vingtième Théâtre que j’avais écrit ; Méta Scanning Hamlet monté à l’occasion du concours du Théâtre 13 et les textes de Jean Baudrillard que nous avons été les premiers à mettre en scène dans un spectacle qui s’appelle Cool Memories, éponyme de l’œuvre de l’auteur, que nous allons reprendre à la B.N.F. le 28 novembre. Le travail majeur de notre compagnie et qui nourrit aujourd’hui notre Macbeth, c’est la littérature du mal : Georges Bataille, Cioran, Baudrillard… toute cette vague de penseurs dans ce qu’ils ont de percutant et dans ce qu’ils donnent comme élan de vie. Cette capacité de réversibilité par rapport à tout ce qui nous traverse et tout ce qui nous défait, c’est finalement plus la possibilité de nous reconstruire que d’y répondre. Qu’est-ce qu’on peut répondre au mal ? Si ce n’est la dérision et l’humour.

Pourquoi Macbeth ?

Parce que, justement, ça fait des années que la question du mal nous travaille. Que c’est un moment où l’on peut dire que ça va relativement mal, entre la crise économique et l’état général qui nous entoure. Nous avons trouvé important de travailler sur la question du mal dans son ensemble, sur ce que l’on fait dans des circonstances comme les nôtres où la tentation d’y succomber peut être forte. Finalement Macbeth, c’est l’histoire d’un homme qui commet une suite d’actions qu’il ne faut pas faire et qui l’amène à sa perte. On retrouve dans notre période tous ces mécanismes dangereux qui nous poussent vers le mal, et il nous a semblé nécessaire de faire un spectacle où l’on pourrait mettre en lumière ces mécanismes. En y puisant toute la dérision, l’ironie et l’élan. Plus que la question de la joie ou de l’amour, qui d’ailleurs implique inévitablement le manque, on s’est dit que poser la question du mal serait le meilleur moyen de trouver l’élan de vie pour nous permettre d’exorciser ensemble nos pires instincts.

Combien de comédiens ?

On est douze, c’est beaucoup. Parce qu’on trouve important de retrouver les énergies de troupe, je crois vraiment que la pratique du théâtre est une pratique collective. À douze, on a déjà toutes les couleurs sur le plan des comédiens, tous les enjeux en matière de technique, toutes les possibilités concernant les personnages – et il y a quand même trente‑trois personnages dans Macbeth. Notre grand nombre nous permet surtout de tenir le rythme, puisque notre adaptation dure une heure et demie, et ça, ça demande du rythme. Nous n’avons rien enlevé de la substance de la pièce, on est juste allé à l’essentiel pleinement.

Comment tu fais pour couper ?

Ça m’a déchiré, mais nous devions préciser notre discours. Une des grandes difficultés et une des merveilles de Shakespeare, c’est qu’on peut tout dire, puisque le monde entier se trouve dans ses pièces. Et c’est d’une extraordinaire richesse, un puits sans fond. Mais, à un moment, il faut se poser et se dire voilà, nous disposons de ce temps-là, il est limité, on ne pourra donc pas dire tout ce que l’on souhaite. Et si l’on veut être entendu par le plus grand nombre possible, il faudra choisir de dire l’essentiel.

Ce qui m’a déchiré le plus a été de couper tous ces passages sur le retour du remords qui habite la pièce. Mais nous avons pensé que si le spectacle était suffisamment hanté, si on était assez dur sur son traitement et que l’on exprimait suffisamment la trahison que Macbeth a commise par rapport à lui-même, on pourrait s’en sortir sans le retour du remords même s’il représente un enjeu psychologique très fort.

Qui joue Macbeth et Lady Macbeth ?

Je joue Macbeth et Laure Vallès joue Lady Macbeth.

Comment un metteur en scène joue et se dirige dans son propre spectacle ?

Mon père [John Berry] m’a parlé pendant des années de l’approche d’Orson Welles parce qu’il a commencé à travailler avec lui lorsqu’il était jeune. J’ai grandi dans une maison où il n’y avait pas un jour sans qu’on ne lise du Shakespeare, et s’il y avait une telle implication et une telle nécessité à lire Shakespeare, c’est parce que dans les années 1930-1940 à New York, il y a eu un mouvement extraordinaire : Welles est arrivé et a commencé à travailler les pièces de Shakespeare d’une façon tout à fait nouvelle. Son objectif était que tout le monde aille au théâtre.

C’est vraiment la version américaine du théâtre élitaire pour tous et populaire. Il a monté un Macbeth à Harlem en plaçant l’histoire à Haïti avec des rituels vaudous, en ne changeant absolument rien au texte ni probablement à l’approche. Je pense qu’il n’y a pas eu de représentation plus shakespearienne que celle-ci. Il n’y a pas eu de trahison puisqu’il n’y a pas eu de recherche d’adaptation, mais au contraire une recherche d’origine. Lorsqu’on est face à un auteur qui parle autant de l’origine, c’est à cela qu’il faut s’attacher.

Et quand j’ai commencé à rêver le projet, je me suis dit qu’il allait falloir que je sois fidèle à cette tradition qui m’avait été transmise et que je prenne ce rôle. Par ailleurs, il y a l’enjeu rythmique, un des enjeux les plus importants dans Shakespeare et davantage encore lorsqu’il est traduit ! Voilà la plus grande difficulté : nous parlons avec une langue qui n’est pas la langue initiale. Et on perd de l’incantation, de la magie originelle. Mais, pour retrouver cette magie-là, j’ai la chance d’avoir les deux langues et une pratique du plateau suffisante pour me frotter à cette difficulté. J’espère trouver une issue au problème qu’est la traduction. De donner à un autre endroit cette musique qui m’a bercé et m’a amené à réfléchir le monde d’une manière tout à fait nouvelle. J’espère qu’avec tous les acteurs nous pourrons transporter chacun dans l’œuvre et le son de William Shakespeare dans l’amour des mots. Pour citer une très belle phrase de Hamlet : « Il faut que le mot porte l’action, il faut que l’action porte le mot ». Cet auteur-là est le seul à mes yeux à avoir rempli chaque mot de l’action. L’acteur n’est là que pour livrer, et s’il donne un peu de son âme au passage, c’est l’explosion. Chose que j’ai pu voir enfant et même après, chez Brook ou ailleurs. Quand c’est vraiment joué, quand c’est donné avec générosité, avec joie, avec élan, eh bien, ça donne les plus belles pièces et les plus beaux moments de théâtre. Et, d’une certaine façon, on n’y est pour rien ! Les équipes n’ont fait que porter un des plus beaux textes qui soit. 

Propos recueillis par
Vincent Cambier

Voir aussi le premier entretien avec Arny Berry.


Macbeth, de William Shakespeare

Mise en scène : Arny Berry

Avec : Clément Bernot, Arny Berry, Benjamin Bur, Alexandre Cornillon, Jean‑Damien Detouillon, Simon Fraud, Élodie Hatton, Elias Khadraoui, Victor Le Lorier, Audrey Sourdive, Laure Vallès, Victor Veyron

Musique : Benjamin Thuau

Scénographie : Aurélie Maestre

Lumières : Lorian Chauché

Costumes : Johanna Elalouf

Chorégraphie des combats : Jérôme Tomray

Effets spéciaux : Laurent Rivière

Collaboratrice artistique : Roxane Kasperski

Photo : © D.R.

Production La Société des écrans en collaboration avec le Théâtre du Chêne‑Noir

Spectacle créé en collaboration avec le Théâtre 13 à Paris

Théâtre 13 / Seine • 30, rue du Chevaleret • 75013 Paris

Métro : Bibliothèque-François-Mitterrand)

http://www.theatre13.com/saison/spectacle/macbeth–2

Du 5 novembre 2013 au 15 décembre 2013

Durée : 1 h 30 sans entracte

Théâtre du Chêne-Noir • 8 bis, rue Sainte-Catherine • Avignon

Vendredi 31 janvier 2014 à 19 heures et dimanche 2 février 2014 à 16 heures

http://chenenoir.fr/programmations/saison-d-hiver-2013-2014/article/macbeth

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