Entretien avec Jean‑Quentin Châtelain, comédien

Jean-Quentin Châtelain © Mario Del Curto

« L’alchimie du verbe »

Par Ulysse Di Gregorio
Les Trois Coups

Rencontre de Jean-Quentin Châtelain après son interprétation de « Bourlinguer » de Blaise Cendrars, adaptation et mise en scène de Darius Peyamiras, au Grand Parquet à Paris.

En 1987, vous amorciez votre carrière avec le monologue de Fritz Zorn tiré de son livre Mars, et vingt-huit ans plus tard vous vous inscrivez dans cette continuité en interprétant seul sur scène Bourlinguer de Blaise Cendrars. Avez-vous une attache particulière avec cette forme théâtrale ?

Oui. Darius Peyamiras est un metteur en scène suisse qui m’a accompagné pour ces deux monologues. Le premier, Mars, a entraîné d’autres monologues parce qu’il s’est avéré que j’aime bien cette forme de travail. Après, plusieurs metteurs en scène m’ont proposé de travailler sur d’autres textes (Exécuteur 14 d’Adel Hakim, Premier amour de Beckett…).

Dans votre interprétation, il nous semble que vous nous donnez à entendre l’origine de l’écriture, c’est saisissant. Pourriez-vous nous parler de votre expérience de comédien dans ce travail ?

À mon avis, c’est mon amour de la poésie qui fait ça. Je sens que je suis à l’aise sur un plateau parce qu’il y a un poète derrière, et le fait de défendre un texte m’intéresse dans ce travail-là.

L’originalité du lieu qu’est le Grand Parquet, chapiteau dans lequel pénètrent les bruits extérieurs, ne vous déstabilise pas et même semble vous stimuler. On a l’impression que vous créez un lien avec le dehors : une sorte de synergie avec le monde…

Je n’avais peut-être pas encore prévu le Blaise Cendrars que je connaissais déjà ce lieu du Grand Parquet, et quand j’ai travaillé Bourlinguer, il m’est apparu intéressant de jouer ici. C’est justement un lieu de poésie et de saltimbanques, comme Blaise Cendrars pouvait l’être. Et puis, ce rapport avec le monde extérieur peut tout à fait faire penser à un homme dans la ville, un homme dans une Naples que Blaise Cendrars évoque, vu que c’est un homme qui retrouve le lieu dans lequel il a vécu son enfance. Ça me paraissait tout à fait compatible avec le bruit extérieur d’une ville.

Rimbaud vous a-t-il inspiré avec Une saison en enfer lorsqu’il parle de « l’alchimie du verbe » ? Car à vous entendre, il y a comme une transmutation des mots en images vivantes lorsque vous nous faites entendre votre texte.

Malheureusement, je connais mal Rimbaud, mais j’aimerais bien l’aborder, avec Une saison en enfer notamment, comme on me l’a déjà conseillé. Il se trouve que Cendrars cite Rimbaud dans Bourlinguer, ce qui en fait, je pense, un poète proche.

Il y a une veine insurrectionnelle dans ce texte, une rage contre les atrocités humaines. L’avez-vous abordé dans cette perspective ?

Oui. Blaise Cendrars est un citoyen du monde, c’est un libre-penseur et un grand humaniste. Ce personnage de Bourlinguer est une espèce de Prospero [la Tempête de Shakespeare] qui s’est retiré du monde et qui fait le bilan de son existence et du rapport qu’il a eu avec la société, du bien et du mal, surtout du mal qu’engendre la société.

« Il ne faut jamais revenir dans le jardin de son enfance » dit l’auteur dans Bourlinguer. On sent que c’est un texte où il procède comme à un examen sur sa vie. Vous êtes-vous documenté pour construire ce personnage ou bien vous êtes-vous fié à votre seul instinct et à votre technique ?

À chaque fois qu’on aborde un auteur dans un monologue, il faut se documenter, car le personnage, c’est l’auteur. On a beaucoup travaillé sur Cendrars : on a suivi sa vie et lu un maximum de choses de lui. C’est une énorme planète. C’est toute cette somme de documentation qu’on accumule en soi et qui fait qu’on se rapproche de plus en plus du personnage Blaise Cendrars.

Sur scène, vous êtes dans une parfaite souplesse tout en étant dans l’immobilité. Quand on sait que vous avez travaillé avec Claude Régy, on voudrait savoir si sa vision vous a inspiré ?

Beaucoup, évidemment. C’était un compagnon de travail et même un maître pendant de nombreuses années. Il m’a bien accompagné et appris beaucoup de choses, entre autres : la patience, le silence, l’immobilité, le ralenti et aussi le rêve. Le rêve par rapport à un texte qu’on peut dire, afin de le laisser vivre sa propre vie. Ce qui ne veut pas dire la nonchalance. Le rêve doit essayer d’ouvrir tous les possibles par rapport au texte.

Pouvez-vous nous dévoiler quel est votre prochain projet sur scène ?

Ça sera au Théâtre du Rond-Point, à Paris, en novembre, décembre. Un spectacle qu’on va créer d’abord à Annecy en octobre. On sera trois sur scène. Je serai avec deux musiciens pour un texte que m’a proposé le metteur en scène Claude Brozzoni. C’est un texte de l’auteur autrichien Peter Turrini, et ça s’appelle C’est la vie

Propos recueillis par
Ulysse Di Gregorio


Bourlinguer, de Blaise Cendrars

Mise en scène : Darius Peyamiras

Avec : Jean-Quentin Châtelain

Photo de Jean-Quentin Châtelain : © Mario Del Curto

Le Grand Parquet • 35, rue d’Aubervilliers • 75018 Paris

Réservations : 01 40 05 01 50

Site du théâtre : http://www.legrandparquet.net/

Du 6 au 31 mai 2015

Mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 20 heures et le dimanche à 16 heures

Durée : 1 h 30

Tarifs : de 3 € à 18 €

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