Entretien avec Nicolas Vaude, metteur en scène et comédien dans « le Neveu de Rameau », de Diderot, à Bécherel le 8 avril 2012

le Neveu de Rameau © Chantal Palazon

Le Théâtre de Bécherel fête la 400e du « Neveu de Rameau »

Par Benjamin Janlouis
Les Trois Coups

Dans le cadre de la Fête du livre 2012 dont le thème est « l’Encyclopédie, le mot sous toutes ses formes, l’abécédaire », la Cie Art’Comedia a jugé opportun de programmer « le Neveu de Rameau ». Ce texte d’excellente facture, porté par trois interprètes magistraux, n’a pas pris une ride.

Nicolas Vaude, pouvez-vous nous résumer l’argument du texte ?

Un philosophe revient sur sa rencontre au café de la Régence avec un personnage singulier, le neveu de Rameau, jeune homme marginal accablé par la réussite musicale de son oncle, le célèbre Jean‑Philippe Rameau. Cette joute entre un philosophe et un voyou hors du commun, c’est une conversation étincelante, rafraîchissante. Elle est dispensée dans un théâtre inhabituel où vous entrerez comme dans le salon d’un gentilhomme de vos amis.

Nicolas Vaude, le Neveu de Rameau, au départ, c’est un roman satirique et philosophique, sous forme de dialogues. Il a connu quelques adaptations théâtrales, mais peu nombreuses finalement. Pourquoi monter à nouveau ce texte ? Pouvez‑vous nous dire quelques mots sur cette nouvelle adaptation ?

Pierre Fresnay et Michel Bouquet ont été les premiers à jouer le Neveu de Rameau, dans une adaptation qui faisait la part belle au personnage du Neveu. Il m’a paru plus fidèle à l’œuvre de restituer l’équilibre du dialogue entre le Philosophe et le Neveu pour densifier leur confrontation. Le Neveu de Rameau est un personnage hors norme qui dit en son temps, peu avant la Révolution française, avec une sensibilité « extra‑ordinaire » voire « extra‑lucide », des vérités nues sur la nature humaine, la société et son fonctionnement. Le texte semble avoir été écrit hier. C’est aussi l’histoire d’un homme qui a faim, pique‑assiette et bouffon, une sorte de clochard céleste. C’est surtout un musicien raté.

Nous sommes partis pour cette adaptation de l’édition originale préfacée par Goethe. Il y est mentionné que les deux personnages se retrouvent au café de la Régence, où il y a un clavecin. La présence de la musique renforce la condition misérable du Neveu, lui rappelant son échec artistique. Le clavecin le nargue. La confrontation du Philosophe avec le Neveu n’est pas une opposition manichéenne. À une vraie révolte, celle du Neveu, s’oppose une vraie philosophie, celle de la raison et d’une certaine foi en l’homme. C’est pourquoi, les deux voix devaient avoir le même temps de parole.

Pour quelle étrange raison avez-vous décidé de faire la 400e à Bécherel ? Dans ce petit théâtre de région ?

Parce que j’ai eu un coup de foudre pour la ville de Bécherel, ses librairies… et son petit théâtre ! J’y ai été accueilli par Véronique et Bertrand Larmet, le temps d’une visite, et j’ai été si ému par l’endroit et la ferveur de ses capitaines que j’ai eu envie de venir y jouer le Neveu à l’occasion de la Fête du livre. Il y a partout en France des petits théâtres merveilleux à l’acoustique extraordinaire ! Il y a des petits théâtres de région si peu employés, qui sont de vrais bijoux souvent tout en bois, vous savez. Il y aurait un travail à faire, pour les remettre aux normes et les valoriser, plutôt que de construire des salles parfois impersonnelles… C’est une idée que j’ai depuis longtemps ! Jouer la 400e du Neveu de Rameau à Bécherel, qui consacre sa Fête du livre à l’Encyclopédie cette année, me paraissait logique. Et j’adore ce pays breton.

Selon la presse unanime, vous êtes l’un de nos meilleurs interprètes au théâtre… On vous compare souvent à des comédiens comme Gérard Philipe, ou Michel Bouquet ! Ça n’est pas trop lourd à porter ?

Je ne sais pas répondre à cette question parce que le métier de comédien demande presque de recommencer à chaque fois. C’est ce qui est dur à porter. Cent fois sur son métier remettre son ouvrage. Et c’est aussi une très grande joie, bien sûr, en ce sens que la scène procure des sensations rares, lorsque l’on joue de si grands auteurs. Ma vocation est de servir de grands textes. Toute la joie vient d’eux. Et du plaisir physique de la scène !

À vos côtés, on trouve Gabriel Le Doze (le Philosophe) et Olivier Baumont au clavecin. Comment ça se passe entre vous, pour une aussi longue cohabitation ?

Le Neveu de Rameau est un rêve d’acteur, en ce sens qu’il me permet d’exercer mon métier comme ces musiciens qui n’ont jamais fini de travailler une sonate ou une partita. C’est un morceau de roi, dont je ne me lasse pas. Nous l’avions déjà joué il y a dix ans, puis repris. Avec le temps, notre interprétation est plus nourrie peut-être, plus dense, jusqu’à se faire traverser par le texte. Nous nous entendons merveilleusement tous les trois, et c’est toujours un grand bonheur de nous retrouver. Olivier Baumont est un des plus grands clavecinistes du monde, et un merveilleux musicien. Quant à Gabriel Le Doze, dans une époque où la poésie tient si peu de place, c’est, croyez moi, un des plus grands diseurs que je connaisse !

On vous a vu récemment au cinéma, entre autres, dans les films Largo Winch et Largo Winch 2, vous avez d’autres projets cinématographiques ?

Je tourne actuellement dans une adaptation de Boule et Bill pour le cinéma avec Marina Foïs, et je m’apprête à interpréter Monsieur Brun dans la Trilogie de Pagnol que va réaliser Daniel Auteuil. Il y aura peut-être aussi un troisième opus de Largo Winch, je l’espère.

Et au théâtre, quelle est votre actualité ?

Je lis actuellement Inconnu à cette adresse de Kressmann Taylor au Théâtre Antoine avec Thierry Frémont : j’avais très envie de jouer avec lui, un jour… Et je viens de mettre en scène la Religieuse de Diderot au Théâtre du Ranelagh avec Christelle Reboul, Frédéric Andrau, Marie‑Laurence Tartas et Christine Plubeau à la viole de gambe. C’est un texte magnifique que j’avais envie de mettre en scène depuis très longtemps.

Quel regard portez-vous sur la situation culturelle, en France ? Qu’attendez-vous des trois prochains mois ?

La France est un pays où la création est très vivante. Paris est la ville au monde qui compte le plus de théâtres. J’aimerais qu’il y ait plus de qualité de travail, et plus de temps et de moyens pour les réaliser. Pour être bien joués au théâtre, les personnages demandent du temps. Comme disait Chateaubriand : « Le temps n’est pas redevable de ce qui a été fait sans lui ». Aujourd’hui, à mon avis, tout va beaucoup trop vite, et je ne crois pas que ce soit du goût du théâtre, qui est un art de l’éphémère, mais qui demande un soin, une attention et presque du silence dans sa conception. Je ne suis pas sûr que le théâtre aime les nouvelles technologies, en fait. J’aurais envie que les régions puissent avoir de vraies compagnies, de vraies troupes, de vrais moyens de création, qu’il y ait une plus grande concertation nationale pour le théâtre. Je rêve d’un pays sans ce cloisonnement ridicule entre le théâtre privé et le théâtre public. Mais nous avons un vivier d’énergies et un système d’aides unique au monde.

Merci, Nicolas Vaude, d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Nous vous donnons rendez‑vous à Bécherel dans très peu de temps.

Merci beaucoup à vous ! Je me réjouis d’aller à Bécherel. 

Propos recueillis par
Benjamin Janlouis


Le Neveu de Rameau, de Denis Diderot

Adaptation : Nicolas Vaude, Nicolas Marié, Olivier Baumont

Mise en scène : Jean‑Pierre Rumeau

Avec : Nicolas Vaude, Gabriel Le Doze, Olivier Baumont (clavecin)

Costumes : Pascale Bordet, puis Brigitte Elbar

Création lumière : Éric Blévin

Photo : © Chantal Palazon

Théâtre de Bécherel • rue de la Roncette • 35190 Bécherel

Tél. 02 99 66 71 48

theatredebecherel@wanadoo.fr

Dimanche 8 avril 2012 à 20 h 30

15 € | 12 €

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