Entretien avec Vinicio Capossela à l’occasion de « Marinai, profeti e balene » au Casino de Paris le 24 mai 2012

Vinicio Capossela © Elettra Mallaby

Mal de terre et côtes de baleine

Par Lise Facchin
Les Trois Coups

Célèbre en Italie pour sa musique rocailleuse et sophistiquée, Vinicio Capossela reste méconnu en France. Il se produit pourtant au Casino de Paris à l’occasion de la tournée de son spectacle « Marinai, profeti e balene » (« Marins, prophètes et baleines »). Une petite bavette s’imposait avec ce grand chanteur de théâtre.

On dit de vos concerts qu’ils n’en sont pas et on parle beaucoup de vos scénographies toujours spectaculaires. J’avais justement envie de vous entendre sur ce rapport particulier que vous entretenez avec la scène.

J’ai toujours eu un grand amour pour le théâtre… pour la stupeur en fait. Pour faire une suite de chansons les unes à la suite des autres, il n’y a pas besoin d’un théâtre, d’une scène. Une représentation, c’est aussi et avant tout un lieu, et c’est pour ça que j’ai toujours fait attention à ceux dans lesquels je me produisais : jouer dans un théâtre, ce n’est pas la même chose que de jouer à ciel ouvert. L’ambiance et l’imaginaire qu’ils produisent ne sont jamais anodins, ils ont forcément une influence sur l’écoute des spectateurs. Cela dit, il est vrai aussi que mes chansons se prêtent à l’interprétation, elles en ont besoin pour être abouties. Une chanson comme un spectacle se fait à deux : il y a celui qui crée et celui qui reçoit. Ce n’est jamais qu’au moment où elle est donnée sur scène, et donc destinée à un auditoire et reçue par lui, que ma chanson existe comme telle.

C’est donc, en quelque sorte, le public qui fait l’œuvre…

Oui. Le public a pour moi une grande importance. Il s’agit d’emmener avec soi des gens pour un voyage qu’ils doivent vivre avec ce qu’ils sont, leur caractère, leur histoire, leur sensibilité, leur goût, leurs faiblesses ou leurs petits secrets… Et c’est avec l’imagination que l’on peut parvenir à cela. Vous voyez, je ne veux surtout pas imposer l’interprétation, ou même le voyage, à ceux qui viennent nous écouter. Toute ma démarche est autour de l’idée de suggestion. L’artiste doit savoir s’effacer, laisser la place au monde qu’il porte. Je pourrais tout à fait jouer dans l’obscurité !

Pourtant vos décors, vos costumes sont toujours soigneusement choisis et votre recherche d’esthétisme est palpable…

Ce n’est pas contradictoire. Pour la scénographie de Marinai, profeti e balene, nous sommes partis de l’idée d’une coque de bateau… Mais c’était trop ! On était immédiatement dans des constructions mentales toutes faites, et plus du tout dans une évocation qui laisse la place à l’imagination de chacun. Un spectacle réussi, pour moi, c’est celui qui a fait émerger en chacun des choses qui lui étaient personnelles, et ce n’est pas possible lorsque l’on impose des images. Finalement, pour en revenir au spectacle, nous avons eu cette idée des gigantesques côtes de baleine qui peuvent aussi faire penser à un squelette de bateau ou encore à des algues… et il y a aussi une petite proue, en clin d’œil à Orson Welles dans Moby Dick.

Votre spectacle est inspiré de la littérature de mer, depuis Homère jusque Joseph Conrad, en passant par Herman Melville…

Parfois, je cite carrément des morceaux de texte, on pourrait dire que j’ai eu de bons paroliers ! S’attaquer à la littérature n’est pas une chose si aisée : il faut beaucoup de sincérité lorsque l’on isole les thèmes que l’on souhaite développer. Il faut justifier que l’on veuille ajouter quelque chose de soi à une littérature déjà connue de tous… sans parler de la légitimité à la chanter parce que, Homère excepté, aucun récit n’a été écrit pour la musique ! Ce qui m’intéresse dans ces récits, ce sont les archétypes. On a l’impression que les protagonistes sont des sortes de superhéros, mais en fait, il s’agit de traits humains, universels. Que ce soit Tirésias ou Lord Jim, le fait qu’à un moment donné l’homme se retrouve confronté à sa noirceur est un des exemples de thèmes tout à fait universels à mes yeux, d’ailleurs Conrad le dit clairement : « Nul n’est jamais protégé de sa faiblesse ». Mais il y a également la possession, l’ivresse et bien sûr l’amour ou le sexe.

C’est la mer qui vous a conduit à la littérature ?

Ce qui m’a toujours plu dans les récits de mer, c’est l’invérifiable. Ce qui se passe en mer, personne ne peut le vérifier. Des gens le racontent, et c’est vrai. Le Cyclope et Circé existent. Ce territoire de l’inconnu et le côté gothique romantique m’ont toujours fasciné. Et puis il y autre chose… le langage de l’Odyssée me remet dans l’oreille celui de ma grand‑mère. Cette manière de parler de l’honneur, du retour (ou du non‑retour), la centralité du sentiment d’appartenance ou même le rapport à la nourriture, sont des choses que je reconnais… qui, d’une certaine manière, m’appartiennent et existaient encore en Italie il y a quarante ans.

Ces chansons, vous les avez écrites seul ou bien est‑ce le fruit d’un travail plus collectif comme c’est le cas de la mise en scène ?

Au-delà de l’énorme contribution de personnes comme Dante, Homère ou Conrad, je les ai plutôt composées seul. Mais pour les arrangements et la musique, ce n’est pas le cas.

Une dernière question : ne pensez-vous pas qu’il peut être difficile pour un spectateur ne parlant pas l’italien de vous suivre pour le voyage de Marinai, profeti e balene ?

Vous savez, je crois que ne pas comprendre les mots n’est pas une entrave à l’imaginaire, et puis, ça donne de l’exotisme ! C’est là que réside l’universalité : au‑delà des mots, des signifiants. Et c’est aussi le travail des instruments, ce sont eux aussi qui font voyager. Au pire, il y aura des surtitres ! 

Recueilli par
Lise Facchin


Marinai, profeti e balene, de Vinicio Capossela

Casino de Paris • rue de Clichy • 75009 Paris

01 44 85 40 40

Métro : Trinité (ligne 12) ou Blanche (ligne 2)

Le 24 mai 2012 à 20 heures

Durée : 1 h 30

Tarifs : 45 € | 35 € | 30 €

Photo : © Elettra Mallaby

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