« F[l]ammes », d’Ahmed Madani, Maison des métallos à Paris

« F(l)ammes » © François-Louis Athénas

Décoiffant !

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Deuxième volet de la trilogie « Face à leur destin » dédiée à la jeunesse des quartiers populaires, après « Illumination(s) » consacrée aux garçons, « F(l)ammes » présente les filles : une performance ébouriffante.

Au départ, la trame du projet est rectiligne comme une colonne vertébrale : dix jeunes femmes racontent leur vie à tour de rôle. Elles n’ont jamais fait de théâtre et n’ont guère parlé d’elles auparavant. Elles ont été choisies parmi la centaine de personnes écoutées par le dramaturge, qui arpente, depuis 2012, les territoires de l’immigration française.

Tissant le vrai et le fictif, l’histoire personnelle et l’histoire collective, l’auteur écrit un texte pour chacune. Ludivine, Anissa, Laurène et les suivantes viennent porter sur scène un personnage qui est elle-même et aussi une autre, avec l’intonation sinon de la vérité en tout cas de la réalité. Le talent de conteur et de scénographe d’Ahmed Madani, observateur bienveillant des petits riens du quotidien, transforme le projet qui aurait pu tourner au docufiction un peu barbant en moment de pure jubilation sensorielle.

Danse, chant, déclamation, arts martiaux, tout y passe pour que l’énoncé de ces vies simples devienne une fête, tantôt joyeuse, tantôt macabre. Entre autres coups de cœur, le travail du vidéaste Nicolas Clauss force le respect. Chapeau aussi à Salia Sanou, chorégraphe qui n’a pas son pareil pour narrer, par le mouvement, le passage Afrique‑Europe.

« Nos racines sont sur nos têtes » 1

De même que Samson, le combattant biblique, tirait sa force de sa tignasse de beau gosse, Ahmed Madani extrait la puissance des mots pour gagner des batailles. Il s’intéresse par exemple à l’imaginaire du cheveu en explorant le jargon du salon de coiffure. Crépue, lissée, nattée, tressée, décolorée, peroxydée, voilée, dévoilée, rasée, emperruquée, ensauvagée ou civilisée, vous n’avez pas idée de tout ce que la chevelure peut avoir à nous raconter sur la vie intime des filles issues de l’immigration. C’est d’abord une prouesse verbale et poétique que ce spectacle, donc, qui tord le cou au bla‑bla sociologico-journalistique pour prendre les réalités humaines au pied de la lettre, à la racine du cheveu.

Et dix autres thèmes aussi riches que celui de l’imaginaire capillaire sont ainsi abordés, donnant à la pièce une portée qui va bien au‑delà de son point de départ. Car on voit déjà venir les ronchons : encore les jeunes de banlieue, encore l’immigration… En fait, quiconque s’intéresse à l’expérience de l’ascension sociale, aux rêves des mères, des pères par‑dessus les berceaux, trouvera dans ces témoignages une justesse d’analyse sur le fait d’être pauvre et de croire que se déguiser est la condition nécessaire pour changer de catégorie sociale. Et le drame de l’excision, bien qu’ethnologiquement situé (bouleversant d’ailleurs, le discours si pudique avec lequel est abordé ce sujet difficile), peut s’avérer universel si l’on en fait l’emblème des traumatismes sexuels vécus par tant d’enfants, quelle que soit leur origine ou leur couleur de peau.

Ahmed Madani croit au théâtre qui ne cherche surtout pas à « faire passer des messages ». Pour lui, ce sont le poids d’incarnation d’un acteur, le jeu verbal le plus simple, les associations d’idées et d’images les plus concrètes qui aboutissent au plus puissant des actes politiques. Entre le sermon militant lourdingue et la force de conviction d’un moment de grâce, la différence ne tient parfois qu’à un cheveu. Qu’il est beau ce festival de crinières ondoyantes, dansant à la lueur des flammes ! Comme on est heureux, avec ces femmes-flammes d’explorer la forêt bien cachée sous notre carapace de citadins policés ! 

Élisabeth Hennebert

  1. Titre d’un paragraphe du dossier pédagogique de la pièce, qui est destinée à tous les publics à partir de 13 ans et a fait l’objet d’une représentation scolaire.

F(l)lammes, d’Ahmed Madani

Textes et mise en scène d’Ahmed Madani, assisté de Mohamed el‑Khatib et Karima el‑Kharraze

Avec : Anissa Aouragh, Ludivine Bah, Chirine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Haby N’Diaye, Inès Zahoré

Création vidéo : Nicolas Clauss

Création lumières et régie générale : Damien Klein

Création sonore : Christophe Séchet

Régie son : Jérémy Gravier et Samuel Sérandour

Costumes : Pascale Barré et Ahmed Madani

Coaching vocal : Dominique Magloire et Roland Chammougom

Coaching chorégraphique : Salia Sanou

Photos : © François‑Louis Athénas

Maison des métallos • 94, rue Jean‑Pierre‑Timbaud • 75011 Paris

Réservations : 01 47 00 25 20

Site du théâtre : http://www.maisondesmetallos.org

Métro : ligne 2, station Couronnes ou ligne 3, station Parmentier

Jusqu’au 4 décembre 2016, du mercredi au samedi à 20 heures et le dimanche à 15 heures

Tournée nationale jusqu’à juillet 2017, voir détail sur le site de madanicompagnie.fr

Durée : 1 h 30 sans entracte

14 €, 10 €, 8 € et 5 €

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