« Frères et sœurs », d’après Fedor Abramov, maison de la culture à Bobigny

« Frères et sœurs » © Viktor Vassiliev

Dodine ovation

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups

Tout le Théâtre Maly à Bobigny ! À l’invitation de Patrick Sommier, directeur de la M.C.93, la troupe russe de Lev Dodine présente en près d’un mois vingt‑cinq ans du répertoire de la compagnie. Cet évènement aussi éphémère qu’extraordinaire commençait avec « Frères et sœurs », une spectaculaire et magistrale fresque de sept heures.

« De nos jours, un spectacle est créé en cinq semaines, faute d’argent, de temps, les acteurs ayant des engagements à droite et à gauche. Alors, il faut réunir les conditions pour vaincre cette pression et travailler dans la durée. » Contre cette idéologie du tout-jetable de « l’objet à usage unique », Lev Dodine travaille depuis plus de vingt‑cinq ans avec sa soixantaine de comédiens à de grandes fresques dans la tradition russe du théâtre de répertoire. Alliant un théâtre psychologique dans la veine de Stanislavski (dont il fut l’un des disciples) à de grands portraits collectifs animés par un jeu très physique, il met en scène des pièces « organiques » qui évoluent avec et dans le temps.

Frères et sœurs, le spectacle « fleuve » qui le fit connaître de façon planétaire, a ainsi bientôt trente ans d’existence. Il est né de premières répétitions en 1976 dans le village de Verkalo, dans le grand nord de l’actuelle Russie. Il est aujourd’hui présenté à Bobigny, après être avoir été joué officiellement en 1985 au Théâtre Maly, à une époque encore toute soviétique. Les acteurs, qui sont allés vivre avec les paysans de Verkalo pour saisir l’essence de cette « prose rurale » chère à Abramov, ont vieilli avec la pièce, se sont incorporés leur rôle dans un temps qui est constitutif de la démarche de Lev Dodine : « Comment en effet construire un répertoire qui se joue en alternance sans ce luxe qu’est le temps ! La création est un long processus, où même les échecs ont leur importance, car ils contribuent à connaître l’homme, à se connaître soi-même », affirme-t‑il ainsi.

Frères et sœurs, qui s’ouvre par ces mots de Staline : « Frères et sœurs, consacrez-vous à la victoire sur l’ennemi, faites tout ce que vous pourrez pour écraser l’ennemi allemand… », adaptée d’une trilogie écrite par Fedor Abramov (né en 1920) quelques années après la victoire sur les nazis, se déroule dans le kolkhoze « Vie nouvelle »… Elle a été écrite et jouée à une époque où ces fermes collectives existaient encore et dresse le portrait d’une quarantaine de femmes et d’hommes encore accablés par la misère de l’après-guerre.

Des effets de va-et-vient, un jeu de focalisation, permettent d’être au plus près des battements de cœur d’un ou deux personnages, dans l’intime, comme pris par l’ivresse d’une foule qui danse, chante et boit au rythme des accordéons. Aidés en cela par une scénographie aussi simple qu’ingénieuse – un simple panneau de rondins de bois tiré par quatre câbles se retourne, à la verticale pour faire un mur, à l’horizontale pour figurer un sol ou un plafond –, les merveilleux comédiens du Théâtre Maly investissent la grande scène de la M.C.93 (qu’ils connaissent depuis 1992 et Gaudeamus, aujourd’hui repris dans une master class ouverte au public) avec un naturel épatant. Vingt‑cinq minutes d’acclamation, en standing ovation pour M. Dodine et sa troupe, ont d’ailleurs couronné cette extraordinaire leçon de théâtre !

Né en 1944 en Sibérie et vivant depuis à Saint-Pétersbourg, Lev Dodine a pris la tête du petit Théâtre Maly, alors inconnu, en 1983. Il ne cesse depuis d’adapter de grands romans – la Maison et Frères et sœurs d’Abramov, les Possédés de Dostoïevski, Tchevengour de Platonov –, de monter du Tchekhov, mais aussi des textes contemporains, dont les Étoiles dans le ciel de l’aube de Galine ou Gaudeamus d’après Sergueï Kalédine. Et l’ensemble de son œuvre prend sens dans une continuité qui met l’Histoire en perspective, pour la commenter et s’en ressouvenir. La vie retrouvée en chacun des comédiens, qui s’exposent et s’engagent pleinement du moment qu’un de leurs pieds est posé sur scène, invite à réfléchir sur la condition humaine à travers l’exploration des petites histoires et des grandes notions.

Quelques-uns des chefs-d’œuvre de Me Dodine sont encore visibles à la M.C.93 – qui une fois de plus fait un travail exemplaire avec cette rétrospective –, jusqu’au 6 décembre 2009. Mais les places sont chères et beaucoup des représentations malheureusement déjà combles. 

Cédric Enjalbert


Frères et sœurs, d’après Fedor Abramov

Maly Drama Théâtre-Théâtre de l’Europe, Saint‑Petersbourg

Adaptation et mise en scène : Lev Dodine

Décor : Édouard Kotcherguine

Costumes : Inna Gabay

Lumières : Oleg Kozlov

Assistants à la mise en scène : Roman Smirnov, Sergueï Bekhterev

Avec les acteurs du Maly Drama Théâtre-Théâtre de l’Europe et les élèves de l’Académie théâtrale de Saint‑Pétersbourg

Photos : © Viktor Vassiliev

M.C.93 Bobigny • 1, boulevard Lénine • 93000 Bobigny

Réservations : 01 41 60 72 72

www.mc93.com

Les 7 et 8 novembre 2009, samedi à 15 h 30, dimanche à 14 heures

Durée : 7 heures

50 € | 34 € | 18 €

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