Œcuménisme théâtral à la chapelle du Verbe‑Incarné
Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
Lieu de confluence des esthétiques européennes, africaines et américaines, la chapelle du Verbe-Incarné, grand théâtre de la rue des Lices, s’engage à recueillir les voix et les imaginaires venus de tous les horizons. Un risque, cependant, qu’elle devienne, par sa programmation ambitieuse, une Babel théâtrale, où les langages se côtoient sans se comprendre.
Ainsi, à vouloir trop en dire, le spectacle Hamlet / Lorenzo – audacieux montage du chef-d’œuvre de Shakespeare et du Lorenzaccio de Musset – devient inaudible. De fait, malgré le talent indiscutable des onze membres de la compagnie, le spectacle porté par une interprétation de qualité et une verve qui préserve de l’ennui, convainc assez peu. Le manque de lisibilité du texte et des choix de mise en scène peu justifiables nuancent le plaisir que suscite la pièce, et éveillent en somme un sentiment paradoxal.
Hamlet est une pièce d’une rare densité, Lorenzaccio d’une rare complexité. Le spectacle dure une heure et trente‑cinq minutes. L’adaptation est donc nécessairement condensation. Et quelques spectateurs restent, semble-t‑il, au bord du chemin. Non content de la sophistication du montage, le metteur en scène ajoute des permutations d’acteurs (deux jeunes comédiens très ressemblants se partagent le rôle de Hamlet en se transmettant sur scène un même costume) et des chants caribéens inattendus. Tout semble fait pour perdre le spectateur, tant et si bien qu’il est nécessaire de faire intervenir un Monsieur Loyal. Celui‑ci nous explique sur un mode didactique le numéro que l’on vient, une heure durant, de nous présenter, avant de conclure en introduisant succinctement la fin de Lorenzaccio.
Deux options se présentent : ou le montage est un prétexte à la manifestation des talents particuliers de chacun des membres de la troupe, ce que je ne pense pas ; ou il entend signifier que Lorenzo le Florentin comme Hamlet le Danois sont à la fois intemporels, culturellement transposables, et allégoriques d’un modèle universel, celui du héros victime du devoir filial. Ce serait alors très démonstratif.
Aussi, en dépit d’un très bon emploi de l’unique objet de décor (une table tour à tour table de banquet, rempart ou couche royale), en dépit aussi du plaisir que l’on prend à écouter les chants caribéens et africains, en dépit enfin du talent de la troupe et de son dynamisme, le spectacle reste-t‑il un corps fragile et monstrueux, auquel manque l’unité d’une justification. Elle ferait alors du spectacle un tout, qui serait plus que l’accumulation de ses parties. Paradoxalement, et malgré ces nombreuses réticences, ce ne fut pas un mauvais moment ; le rythme soutenu par les onze bons comédiens pallie tout ennui. ¶
Cédric Enjalbert
Création Avignon 2007
Hamlet / Lorenzo, de William Shakespeare et Alfred de Musset
OV Productions • aux bons soins d’Ollivier Verra • 17 bis, place du Palais • Avignon
06 19 41 79 96
Mise en scène : Antoine Bourseiller
Texte français : André Markowicz
Interprètes : Alexandre Ruby, Benjamin Tholozan, Dawa Litaaba‑Kagnita, Yoann Parize, Yohan Guillemot, Camille Gorde, Jean‑Paul Journot, Juliette Wiatr, Lætitia Guédon, Grégoire de Carolis, Grégory Alexander
Musique et chants : Dawa Litaaba‑Kagnita et Grégory Alexander
Régisseur général : Vincent Ravanne
Chapelle du Verbe-Incarné • 210, rue des Lices • Avignon
Réservations : 04 90 14 07 49
Du 6 au 28 juillet 2007 à 16 h 55
Durée : 1 h 35
15 € | 11 €