« Hernani », de Victor Hugo, Théâtre de la Jonquière à Paris

Un « Hernani » tout feu tout flamme

Par Céline Doukhan
Les Trois Coups

L’« Hernani » de la compagnie Nova est à l’image de la pièce de Victor Hugo : plein de jeunesse et de fougue, imparfait mais au charme fou.

Hernani, voilà une pièce échevelée comme on savait en faire au bon vieux temps du théâtre romantique, avec une jeune noble amoureuse d’un bandit au grand cœur, follement aimée de lui, mais aussi d’un blanc-bec qui se trouve être le roi d’Espagne, ainsi que d’un vieux barbon, son oncle Ruy Gomez. C’est une pièce écrite au shaker : un peu de Cid pour l’Espagne, les amours contrariées, le thème de l’honneur et le vieil oncle qui rappelle Don Diègue ; un peu de Roméo et Juliette pour le personnage jeune et passionné de Doña Sol et la fin pas très happy, fiole de poison oblige. Et, bien sûr, le verbe ardent, démesuré d’un Victor Hugo de 25 ans et son goût du rebondissement parfois vaudevillesque (Hernani et le roi enfermés tous les deux dans un placard !) entremêlé à une intrigue historique autour du roi d’Espagne devenant l’empereur Charles Quint. N’en jetez plus !

Les premières minutes de la mise en scène de Margaux Eskenazi ne sont pas pour susciter un enthousiasme délirant : le personnage de la Duègne, joué par une Sylvie Beurtheret qui révèle par la suite une présence énergique et espiègle, porte sous son manteau noir un short et des chaussures à talons hauts qui font augurer du jeunisme le plus éculé. Mais pas du tout : peu à peu, la tension se noue, les comédiens jouent au plus près du texte, dans une mise en scène finalement assez classique. Ici, seuls quelques détails en général pertinents projettent parfois le spectateur dans la modernité. Quelques mesures de musique électro (?) appuient certains passages de grande tension, malheureusement en couvrant parfois les voix : adjonction ni indispensable ni complètement ratée, qu’on excuse bien volontiers tant le charme opère par ailleurs. Et à la fin, quand Ruy Gomez meurt, il n’en finit pas de baver un ersatz d’hémoglobine, si longtemps qu’on finit par en sourire.

Autre idée, celle‑ci superbe : dans le troisième acte, alors que Ruy Gomez détaille les portraits de ses ancêtres, des dessins de Victor Hugo sont largement projetés sur le panneau du fond, recouvrant le corps de Ruy Gomez, et cela produit un bel effet, inattendu, puissant et poétique.

« Hernani » © Thérèse Gacon
« Hernani » © Thérèse Gacon

« Toutes les qualités et tous les défauts en sont jeunes. »

Du côté de l’interprétation, on n’est pas toujours convaincu, non pas par le jeu de Laurent Dève en Don Carlos, mais plutôt par le parti pris de Margaux Eskenazi d’en faire, du moins au début, un bellâtre immature et inconsistant. Difficile, en effet, de voir dans ce blondinet aux cheveux en brosse au caractère aussi royal qu’un personnage de Beverly Hills 90210 le futur empereur Charles Quint. Mais, là encore, le personnage gagne en profondeur et, dans ce jeu d’équilibre très difficile entre le ton épique et le grotesque malgré tout inhérent à certains passages de la pièce, la balance finit par pencher du bon côté, celui, plus instinctif mais évident, de l’adhésion à cette interprétation sincère et enthousiaste.

En Donã Sol, Laure Grandbesançon arrive à passer d’un registre enfantin, très « Juliette », à celui d’une amante et épouse tragique, que la passion entraîne dans la mort avec un panache désespéré. Le couple qu’elle forme avec Thomas Moreno / Hernani est crédible, lui fruste autant qu’elle est noble. Quand ce petit bout de femme jette avec orgueil « Savez-vous ce que c’est que Doña Sol ? » à son vieil oncle amoureux, il n’y a pas à dire, ça ne manque pas de classe. Jean Pavageau monte aussi remarquablement en puissance dans le rôle pathétique et pas très sympathique de Don Ruy Gomez.

Pour résumer, on pourrait vraiment appliquer à cette mise en scène le jugement que porta Théophile Gautier sur la pièce en 1838 : « Le mérite principal d’Hernani, c’est la jeunesse. On y respire d’un bout à l’autre une odeur de sève printanière et de nouveau feuillage d’un charme inexprimable ; toutes les qualités et tous les défauts en sont jeunes : passion idéale, amour chaste et profond, dévouement héroïque, fidélité au point d’honneur, effervescence lyrique, agrandissement des proportions naturelles, exagération de la force ; c’est un des plus beaux rêves dramatiques que puisse accomplir un poète de 25 ans » *. 

Céline Doukhan

* In Théophile Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt‑cinq ans, 1838.


Hernani, de Victor Hugo

Cie Nova

www.lacompagnienova.org

production@lacompagnienova.org

Mise en scène : Margaux Eskenazi

Dramaturgie : Agathe Le Taillandier de Gabory

Avec : Sylvie Beurtheret, Dominique Dani, Laurent Dève, Julie Douine, Marc Eskenazi, Laure Grandbesançon, Thomas Moreno, Jean Pavageau, Pascal Rullent

Costumes : Sarah Lazaro et Julie Vignot, assistées de Noémie Le Corre et Claire Boes

Lumières : Sabine Belotti

Scénographie : Chloé Dumas

Vidéo : Stéphane Trani

Musique : Nawel ben Kraiem

Maître d’armes : Simon Roth

Photos : © Clément Probst et Thérèse Gacon

Théâtre de la Jonquière • 88, rue de la Jonquière • 75017 Paris

Réservations : 06 33 13 47 85

Du 21 au 24 septembre 2011 à 20 heures

Durée : 2 heures

13 € | 11 €

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