« Hymne à la Turquie méditerranéenne », par Ciğdem Aslan, Opéra de Rennes

« Hymne à la Turquie méditerranéenne » par Ciğdem Aslan

Chanter pour se souvenir et vivre

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Ciğdem Aslan est une Turque de culture alévie-kurde, une population qui accorde une très grande place à la musique. C’est donc tout naturellement que la jeune femme y vient. Depuis 2013 et la parution de son premier album « Mortissa » (Asphalt Tango Records / Indigo), elle se consacre surtout à chanter le rébétiko, comme c’est le cas ce soir.

Le répertoire choisi est surtout composé de titres empruntés à son dernier album A Thousand Cranes (Un millier de grues) également paru chez Asphalt Tango Records (2016). Il aborde les thèmes chers au rébétiko, ce genre populaire né au milieu des années 1920 des échanges énormes de population entre la Turquie et la Grèce. Les hauts-lieux en étaient : Istanbul, Athènes, Thessalonique, mais surtout Smyrne, l’actuelle Izmir.

Ciğdem Aslan chante en grec et en turc. Les deux langues sont à peu près à égalité, certains pots-pourris les alternent même. Beaucoup de thèmes de ces blues orientaux, souvent nés dans les ports, parlent d’amour. On entend dans la musique des influences de la Turquie de l’Ouest, mais aussi de l’Anatolie, de l’Arménie, voire des Balkans. Les chansons ne sont pas toutes mélancoliques, témoin cette Lingo, lingo şişeler qui évoque le bruit de bouteilles qui s’entrechoquent ! Certaines prêtent même à rire comme Olmaz, une façon de dire non en turc, réponse qui claque à chaque demande que fait un barbon à une jeune femme (cette chanson est l’occasion d’un magnifique solo du percussionniste).

Une grande expressivité

Le concert commence par un long instrumental, mettant en valeur la grande musicalité du quartette qui accompagne la chanteuse : l’arrangeur et directeur artistique Nikolaos Baimpas (kanoun, sorte de cithare sur table qui nous vient de l’Empire byzantin), Prodromos Baklatzis (violon), Colin Somervell (contrebasse) et Ant Romero (percussions). À la fin de ce prologue, Ciğdem Aslan fait son entrée dans une longue robe noire moirée de bleu, très près du corps.

Sans posséder une tessiture très étendue, la chanteuse est dotée d’une voix puissante et ductile, d’une certaine fraîcheur. Elle donne souvent la priorité au son sur l’articulation, mais sa très grande qualité, c’est son expressivité. Le corps est très mobile et occupe l’espace avec aisance, sans qu’on puisse parler de chorégraphie. C’est le visage, surtout, qui rend visibles les émotions. Dans la deuxième partie du concert, une chanson se distingue, Turna, (la grue, l’oiseau migrateur en turc). Le mot se prononce de la même façon en grec et il a donné le titre de l’album A Thousand Cranes. Le texte, emprunté à un ménestrel du XVIIe siècle, un certain Karacaoğlan, est une complainte sur le triste sort des migrants et de ceux qui s’attachent à eux. Cette question est au cœur de l’engagement de Ciğdem Aslan.

Comme pour un certain nombre de concerts de la série « Divas du monde », j’ai regretté que le livret de salle ne comportât pas une présentation minimale du répertoire interprété. Déplaisir bien léger, au demeurant, à l’aune de l’agrément pris à ce concert où l’artiste – talentueuse – s’est montrée très généreuse. L’enthousiasme débordant de ses compatriotes, ou des spectateurs de la même origine qu’elle, faisait vraiment plaisir à voir. 

Jean-François Picaut


Hymne à la Turquie méditerranéenne, par Ciğdem Aslan

Avec : Ciğdem Aslan (chant)

Durée : 1 h 30

Photo : Ciğdem Aslan © Alex Harvey Brown

Opéra de Rennes • Place de l’Hôtel de Ville • BP 3126 • 35031 Rennes Cedex

Le mardi 12 juin 2018, à 20 heures

De 27 € à 9 €

Réservations : 02 23 62 28 28

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