« Innocence », de Howard Barker, les Célestins à Lyon

Innocence © Laurent Nicolas

Le théâtre de la cruauté

Par Élise Ternat
Les Trois Coups

Que de chemin parcouru par les membres de la compagnie Nöjd depuis « les Chevaliers ». Après « la Musica deuxième » de Marguerite Duras et « Yvonne princesse de Bourgogne » de Gombrowicz, c’est sous la direction de Howard Barker que nous les retrouvons avec « Innocence », surprenant projet présenté du 21 janvier au 1er février sur le plateau de la Célestine.

Howard Barker, célèbre dramaturge outre-Manche, fondateur de la Wrestling School est étonnamment peu joué en France. À l’origine du projet Innocence, Aurélie Pitrat membre de la compagnie Nödj, qui, suite à sa rencontre avec l’auteur et metteur en scène, s’est vue confier, telle une pépite, un des textes de Barker jamais monté jusqu’alors, avec en prime l’opportunité pour elle et ses acolytes d’être dirigés par le dramaturge.

Innocence embarque ses spectateurs à l’heure de la Révolution, là où la monarchie tombe et la tête du roi Louis avec. La reine Caroline (il faut y voir ici l’évocation de la reine Marie-Antoinette) et son fils se retrouvent seuls et emprisonnés. À l’aube de leur mort, ces derniers sont accusés d’inceste laissant la colère du peuple se déchaîner avec violence et passion contre eux.

Une apparence historique pour une réalité politique

Au-delà de son apparence historique, Innocence est une pièce éminemment politique traitant, à travers un élément du destin de la reine Marie‑Antoinette, de la société contemporaine. On y découvre des thèmes forts tels que la cruauté de l’individu ou encore la destruction de la sphère privée par la surveillance de l’État. Dans cette pièce aux relents de tragédie, il est également question de ce moment suspendu dans le temps où plus rien n’est vraiment contrôlé ni contrôlable avec la morale de l’instant pour seule boussole.

En dépit de quelques longueurs, la pièce Innocence a ceci d’intrigant qu’elle traite de manière omniprésente des corps, de cette chair qui transpire. Les comédiens semblables à de véritables zombies ont en commun cet état de désir qui les transcende, les dépasse. Dans les termes, les évocations, jusque dans les mouvements des individus, la chair dans sa dimension érotique est perceptible. Ici, le corps de la reine devient propriété du peuple, elle est « chose publique ». À ce jeu-là, la comédienne Aurélie Pitrat se révèle plutôt brillante, tenant le rôle d’une Caroline lascive à la voix chevrotante et à l’intelligence subtile. De même, Guillaume Bailliart ou encore Pierre‑Jean Étienne, pour ne citer qu’eux, se montrent convaincants dans une partition aux apparences plus sombres que ne le sont habituellement les autres pièces de la compagnie. On retrouve Jean‑Philippe Salério, enfin, dans le rôle clé du mystérieux geôlier.

De la scénographie, on déplore qu’elle soit un peu à l’étroit dans la Célestine. Un miroir de biais donnant à voir une vérité des plus floues occupe le centre de la scène. Caisses et cartons constituent un ensemble aux couleurs sépia, quelque peu suranné. Les comédiens aux mines délavées portent des costumes d’époque (à l’exception du geôlier) impeccablement défraîchis. Aussi, la dimension étrange et malsaine de l’ensemble est renforcée par la présence des sons : lames de couteaux que l’on affûte, portes de cellule qu’on ouvre et autres cris créent une ambiance tout à fait particulière.

De l’univers des Nöjd, Innocence conserve une pointe d’impertinence et d’humour avec en supplément la singularité de l’univers de Howard Barker. Une telle rencontre donne ainsi l’occasion de découvrir ce « théâtre de la catastrophe » propre au dramaturge, qui sonde avec finesse la nature humaine dans ce qu’elle a de plus cruel, de plus tragique. 

Élise Ternat


Innocence, de Howard Barker

Traduction originale : Sarah Hirschmuller

Association Nödj

Mise en scène : Howard Barker, Gerrard McArthur

Assistante / traductrice : Kylie Walters

Avec : Guillaume Bailliart, Alizée Bingöllü, Olivier Chombart, Pierre‑Jean Étienne, Vincent Fontannaz, Anne‑Gaëlle Jourdain, Aurélie Pitrat, Jean‑Philippe Salério

Assistanat à la mise en scène : Kylie Walters

Scénographie : Thomas Leipzig

Créateur lumière : Ace McCarron

Créateur son : Érick Priano

Créateur costumes : Billie Kaiser, Cathy Ray

Régie générale : Jérôme Perez

Assistant langue anglaise : Paulo Maia

Photo : © Laurent Nicolas

Les Célestins, théâtre de Lyon • 4, rue Charles‑Dullin • 69002 Lyon

Du 21 janvier au 1er février 2014 à 20 h 30

Durée : 1 h 40

Tarifs : 21 € | 15 € | 12 €

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