« J’ai couru comme dans un rêve », création collective, Théâtre de l’Atalante à Paris

« J’ai couru comme dans un rêve » © Anne Nordman

Un mort encore jeune

Par Olivier Pansieri
Les Trois Coups

Après Shakespeare, Mouawad et Labiche, retour à l’impro avec « J’ai couru comme dans un rêve », création collective des Sans Cou, mise en scène par Igor Mendjisky. L’Atalante prête son écrin noir à ces pépites, encore enchâssées pour l’instant dans des temps morts et quelques enfantillages.

Le même jour, Martin (Paul Jeanson), trente ans, apprend qu’il va mourir, et que sa compagne Sarah (Esther Van den Driessche) attend un enfant de lui. La dame est à l’étranger, le monsieur, effondré, va se réfugier dans sa tribu-famille adoptive, ses vrais parents étant morts. On aura reconnu quelques airs connus : l’urgence, la vie, la mort, la famille sans cesse à réinventer, etc.

Commençons par tout ce qui ne va pas. Déjà, la durée : trois heures, même avec entracte, c’est beaucoup trop long. Ensuite, les poncifs qui émaillent des dialogues attendus, voire prévisibles, vu la situation. Et cela, dans la bouche de personnages qui, eux-mêmes, n’échappent pas aux stéréotypes : la femme d’affaires coincée, la danseuse bondissante, le copain-chic-type, la star médiatique, le tonton bohème sympa… On n’est pas loin de la sitcom. La présence d’un animateur-gourou-auteur (Romain Cottard) n’arrangeant pas toujours les choses. D’autant qu’il use, et abuse, de silences pour « faire vrai » qui finissent par peser des tonnes. On a aussi du mal à s’y retrouver dans tout ce fouillis.

Deux choses font plaisir à voir : la cohésion des Sans Cou, indéfectible tout au long de ce marathon de l’amitié, et la formidable énergie qui se dégage de leur prestation. Autre bon point : ils ne trichent pas avec leur sujet. Les protagonistes apprennent donc en direct, devant nous, la terrible nouvelle. Il y a là, des instants de théâtre-vérité fascinants. La palme reviendrait à Éléonore Joncquez (la sœur Blandine), qui croit d’abord à une blague, puis passe par toutes les phases de la douleur, s’il ne lui manquait la parole. Il est regrettable en effet qu’elle ait alors si peu de texte pour exprimer ce qu’elle éprouve. C’est l’autre écueil, fréquent, de ce psychodrame pauvre en dialogues.

« J’ai couru comme dans un rêve » © Anne Nordman
« J’ai couru comme dans un rêve » © Anne Nordman

Le congrès des anges sur les maux de la planète

Par exemple, quand cette même Blandine évoque en famille l’éventualité d’un avortement, ou quand Gabriel exige une explication de son frère à propos d’une lettre d’injures. Pourquoi, à chaque fois, le problème est-il éludé ? Et plus tard, pourquoi ne pas avoir prolongé également cette scène imaginaire, bouleversante, entre Martin mort et son enfant devenue une adolescente ? Des développements qui, ici, auraient eu davantage leur place que la longuette dénonciation de la télé-réalité, par exemple. Parmi les trouvailles, on retiendra le numéro de crooner de Gaby Nelson (Clément Aubert), le congrès des anges sur les maux de la planète, la parturiente noyée sous les fleurs par son gynéco, puis l’étonnante vue en plongée du lit où elle accouche, entouré des siens. Et, bien sûr, l’histoire racontée par Bens (Frédéric Van den Driessche) à son fils adoptif condamné. Qui elle, pourrait être plus courte.

Très réussie également, cette scène où tous amènent, mentalement, Martin au bord de la mer. Oncle Bens qui lui peint les vagues, les copains qui les miment, puis font les mouettes pour qu’il y croie : c’est très beau. Encore plus beau, le duo d’amour, qu’à vrai dire on attend depuis le début, entre Sarah et Martin. Il faudrait finir là, sur cette réplique de la jeune femme, feignant de mordre la tête de son bien-aimé : « Il n’y en a pas, de tumeur. Je vais te la manger, moi, ta tumeur ! ». Et lui, en réponse, la réconfortant : « Tu n’as pas à t’en faire. Je suis un roi, je serai tout le temps là, même quand je serai mort. Parce que je suis un roi, et qu’un roi, ça laisse jamais tomber son royaume ! ».

Pour ne pas être en reste, citons aussi Arnaud Pfeiffer, qui fait le brave type de service. Tous excellents, ils ont mérité, l’autre soir, les cinq rappels d’un public, certes en partie de copains, mais tout de même. C’est le paradoxe de ce spectacle, pas assez travaillé, et sur un sujet parfaitement lugubre : on en ressort rajeuni. Comme quoi, l’espoir est contagieux. 

Olivier Pansieri

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J’ai couru comme dans un rêve, création collective

Mise en scène : Igor Mendjisky

Avec : Clément Aubert, Romain Cottard, Paul Jeanson, Arnaud Pfeiffer, Éléonore Joncquez, Esther Van den Driessche, Frédéric Van den Driessche

Costumes : May Katrem

Scénographie : Claire Massard

Lumières : Thibault Joulié

Chorégraphie : Esther Van den Driessche

Administration : Émilie Aubert

Production Cie Les Sans Cou, avec le soutien de la mairie de Paris, de l’A.D.A.M.I. et du Jeune Théâtre national

Théâtre de l’Atalante • 10, place Charles-Dullin • 75018 Paris

www.theatre-latalante.com

Réservations : 01 46 06 11 90

Du 6 au 25 avril 2011, les lundi, mercredi, jeudi, vendredi à 20 h 30, le samedi à 15 heures et à 19 heures, le dimanche à 17 heures, relâche le mardi

Durée : 2 h 50 (avec entracte)

20 € | 15 € | 10 €

Au Studio-Théâtre d’Asnières

Du 24 au 29 mai 2011 : mardi 24, mercredi 25, jeudi 26, vendredi 27, samedi 28 mai à 20 h 30, dimanche 29 mai à 15 h 30

Réservations : 01 47 90 95 33

Reprise du 24 janvier au 4 février 2017

Le Monfort • 106, rue Brancion • 75015 Paris

01 56 08 33 88

www.lemonfort.fr

Photo : © Anne Nordman

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