« J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne », de Jean‑Luc Lagarce, Théâtre du Pavé à Toulouse

Les monologues du chagrin

Par Bénédicte Soula
Les Trois Coups

Un metteur en scène qui s’efface avec élégance, des comédiennes qui prennent la parole, et un auteur, Jean‑Luc Lagarce, qui leur fait don de son écriture, si juste et si belle… N’attendez pas que la pluie vienne pour découvrir la dernière création de Francis Azéma au Théâtre du Pavé. Précipitez-vous !

jetais-dans-ma-maison-300-hive« Sentir, aimer, souffrir, se dévouer, sera toujours le texte de la vie des femmes », a écrit un jour Honoré de Balzac. Évidemment, cela n’est vrai qu’en partie. D’autres verbes écrivent ce texte : penser, désirer, jouir, combattre, haïr, par exemple… Mais, dans l’amour et la souffrance aussi, la femme doit être entendue. En recueillant les chagrins de son âme, Jean‑Luc Lagarce et Francis Azéma écrivent un bien joli texte féminin, subtil et sincère, qui, ajouté au reste de la programmation du Pavé cette année, constitue presque un manifeste théâtral féministe. Gratitude, donc.

Dans cette œuvre de 1994, Jean‑Luc Lagarce a installé cinq femmes dans une maison, à la campagne. Parmi les recluses de ce gynécée familial, au côté d’une mère et d’une grand‑mère, trois sœurs s’ébattent dans un univers à mi-chemin entre celui de Tchekhov et celui de Virgin Suicides. La pièce les surprend au moment où vient de réapparaître l’homme de la maison (le fils, le petit-fils, le jeune frère). Comme Ulysse, il semble revenir d’un long voyage, mais lui, c’est visiblement pour mourir, la tête posée sur le sein des saintes. Si l’on ne sait pas tout à fait pourquoi il est parti, si l’on ignorera toujours où il se trouvait et ce qu’il faisait durant cet exil familial, on comprend in medias res le déchirement originel qui réunit ces cinq femmes, abandonnées.

Le flot puissant des sentiments indomptés

Or, le retour tardif est quelquefois plus bouleversant encore que la séparation originelle. On l’avait déjà constaté avec la Douleur de Marguerite Duras, que Francis Azéma a reprogrammée cette saison. On le revit une nouvelle fois ici : avec la violence inattendue du ressac, et au moment où enfin éclate un orage diluvien dans la campagne, le retour du fils fait céder toutes les digues, abat les dernières résistances, déclenche le flot puissant des sentiments indomptés, et libère la parole féminine trop longtemps contenue.

C’est Francis Azéma qui a recueilli cette parole avec toute la délicatesse qui le caractérise, en posant simplement un micro sur pied au cœur du dispositif scénique. Ainsi, chacune à tour de rôle peut venir épancher sa douleur, ses regrets, ses culpabilités ou ses rancœurs. La mise en scène, elle, est comme toutes les mises en scène de Francis Azéma, sans machin ni trucage. Lui-même s’est s’effacé derrière le jeu de ses comédiennes. « Il faut scruter le silence », nous dit à peu près Lagarce dans le texte. Il faut regarder l’essentiel, ajoute Azéma, cherchant dans ce dépouillement devenu une signature à dévoiler l’invisible. Révéler l’inaudible. Avec un soin tout particulier, il veille à ce qu’aucun parasitage, visuel ou sonore, ne trouble l’instant sublime de ce moment cathartique. À peine, de temps à autre, entend-t‑on un bruit de tonnerre déchirer sourdement le silence. Sinon, les mots. Et le langage des corps.

Qui a des sœurs sera touché…

C’est là que vient le moment de parler de ce chœur de femmes, dont les rôles ont été admirablement distribués. En aïeule, éternelle figure tutélaire de la Maman avec une majuscule, Elsa Berger émeut. Front haut, menton impavide, Corine Mariotto offre au monde et à ses filles un visage de Piéta de marbre. Caparaçonnée de sa souffrance exclusive, mère blessée, femme assassinée par la rancœur, elle s’accroche en forcenée de l’amour maternel à ses dernières heures de résistance. Quant à la triade sororale (Pauline Le Coq, Mélanie Rochis, Cécile Carles), elle est tout simplement poignante. Une complicité espiègle. Des éclats de rire sonnant avec justesse. Des reproches et des câlineries dont on peine à croire qu’ils puissent être joués. Qui a des sœurs sera touché de revivre cette relation si particulière, faite d’amour et de cruauté naturelle.

En résumé, que de magnifiques portraits de femmes nous livre ici cette pièce ! Celle qui hurle en silence ; celle qui a trop vécu et laisse son tour même dans la souffrance ; celle qui combat les poings et les dents serrés ; celle qui survit dans l’apparente futilité d’une vie de plaisirs ; celle, lucide, qui s’est préservée dans le renoncement. Il y a des femmes. Toutes les femmes. Quant à Azéma, subtil et élégant dans sa mise en scène, il pose une fois de plus son regard bienveillant et altruiste. Francis Azéma est un féministe pacifiste. Discret mais volontaire. 

Bénédicte Soula


J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne, de Jean‑Luc Lagarce

Cie des Vagabonds • 34, rue Maran • 31000 Toulouse

05 62 26 43 66

Mise en scène : Francis Azéma

Avec : Elsa Berger, Cécile Carles, Pauline Le Coq, Corinne Mariotto, Mélanie Rochis

Diffusion : Olivier Chatellier

Théâtre du Pavé • 34, rue Maran • 31000 Toulouse

Site : www.theatredupave.org

Réservations : 05 62 26 43 66

Du 31 mars au 23 avril 2011, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 16 heures, relâche le lundi

Durée : 1 h 20

18 € | 14 € | 9 € | 3,60 €

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