« Jusque dans vos bras », de Jean-Christophe Meurisse, Les Chiens de Navarre, Festival Les Nuits de Fourvière à Lyon

« Jusque dans vos bras » © Ph.Lebruman

L’identité française en chansons, rigolades et engueulades

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Malgré leur nom et la réputation sulfureuse qui les précède, Les Chiens de Navarre sont des gentils. Leur dernier opus, « Jusque dans vos bras », en référence à notre « Marseillaise », questionne notre identité nationale. Un sujet épineux et provocateur, traité dans un esprit bon enfant.

Si les craintes se sont quelque peu apaisées depuis, le spectacle a été fabriqué dans une période où l’on annonçait un Front national à 30%. De quoi faire frémir et justifier une interrogation sur ce qui nous lie encore à nos compatriotes. Comme à son habitude, Jean-Christophe Meurisse préfère le patchwork à une analyse assénée. Il nous livre une succession de tableaux déjantés qui mettent en perspective notre rapport au terrorisme, au racisme, à l’accueil des migrants, notre lien avec les grandes figures historiques patrimoniales tels que de Gaulle, Jeanne d’Arc, Marie-Antoinette (l’étrangère) et même… Thomas Pesquet !

Cela commence par un exercice de magie : Jean-Christophe Meurisse accueille le public, comme un bateleur, et il demande à tous de fermer les yeux, pour de vrai. On joue le jeu, on est dans le jeu. Quand il nous autorise à regarder de nouveau, un cercueil recouvert d’un drapeau est apparu, avec une veuve gémissante. Bien entendu, ce tableau ne demeure pas longtemps héroïque : tout dérape à grande vitesse, la veuve s’agrippe au drapeau – entraînant le couvercle –, le cadavre sort de sa boîte, le drame disparaît. On se situe quelque part entre Guignol et le musée des horreurs. Jouissif.

Tout le reste est à l’avenant. Le général de Gaulle, de son vrai nom Brahim (!), l’Algérien, rencontre Marie-Antoinette. Tous les deux entament une conversation aussi abracadabrante que leur apparence : le premier mesure bien ses deux mètres, on le dirait juché sur des échasses ; la seconde, dont le col est encore tout sanguinolent, lui fait les honneurs des jardins. Pendant ce temps, un athlète nu, à moins que ce ne soit un danseur, se livre à des acrobaties fort divertissantes. Quel rapport ? Aucun, en tout cas pas davantage que « la rencontre fortuite sur une table à dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ». Le qualificatif qui vient le plus volontiers à l’esprit est « surréaliste ». Ce montage, ces personnages, sont surréalistes. De ce fait, ils appartiennent bel et bien à notre culture.

Éléphants roses et autres impertinences

Les clins d’œil abondent : la cotte de maille de Jeanne d’Arc fume à chaque pas et la pucelle ne rêve que de perdre, avec cet encombrant attirail, la virginité qui lui colle aux basques. Elle terminera son show par un numéro de strip-tease désopilant, suivi d’une danse mi-macabre mi-sauvage. La bande d’amis venus déjeuner sur l’herbe se trouve vite aux prises avec des idées préconçues et autres glissements et dérapages racistes. L’hystérie les gagne, l’amitié se fissure, car parler politique n’est pas sans risque. Alors, on en vient aux mains, on crie, on gueule, les comédiens grimpent dans les gradins. Le couple bobo, lui, va devoir ravaler son empathie condescendante devant des réfugiés à la pensée et aux mots très affûtés. Quant à la geste héroïque des astronautes, elle tourne au dérisoire : ils sont incapables de planter leur drapeau qui devrait annexer ce nouveau territoire.

Certains tableaux sont d’une autre gravité, comme la barque chargée de migrants, en fond de scène. Ils appellent au secours, envoient une corde en direction du public. Quelques spectateurs, mis au défi d’aller à leur rescousse, se précipitent. Mais le ton change avec l’arrivée de deux requins en baudruche qui cherchent à les empêcher de mener à bien leur œuvre humanitaire.

De manière générale, des animaux fabuleux sont convoqués (bravo à la costumière, Élisabeth Cerqueira). On voit des éléphants roses ou la génisse Io, qui sort on ne sait d’où, et esquisse un gracieux menuet totalement absurde.

On le voit, les occasions de rire ne manquent pas. Mais cette succession de tableaux manque de liant. Certains sont très réussis, d’autres un peu longuets. D’ailleurs, au moment des saluts, on a bien senti que le public restait un peu sur sa faim. C’était un soir de première et sans doute le spectacle nécessitait-il d’être un peu raboté ici ou renfloué là. Reconnaissons cependant les mérites des Chiens, la mécanique bien huilée, une insolence jamais vacharde, des comédiens engagés et une imagination que rien n’arrête. Surtout, ne boudons pas notre plaisir. Une soirée de franche rigolade pas prise de tête, c’est toujours bon à prendre ! 

Trina Mounier

 


Jusque dans vos bras, de Jean-Christophe Meurisse, Les Chiens de Navarre, Festival Les Nuits de Fourvière à Lyon

Les Chiens de Navarre

Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse

Avec : Caroline Binder, Céline Fuhrer, Matthias Jacquin, Charlotte Laemmel, Athaya Mokonzi, Cédric Moreau, Pascal Sangla, Alexandre Steiger, Maxence Tual, Adèle Zouane

Collaboration artistique : Amélie Philippe

Régie générale et création lumière : Stéphane Lebaleur

Assistante à la régie générale : Muriel Sachs

Création et régie son : Isabelle Fuchs

Régie son : Jean-François Thomelin

Régie plateau : Flavien Renaudon

Décors : François Gauthier-Lafaye

Création costumes : Élisabeth Cerqueira

Direction de production : Antoine Blesson

Administration de production : Émilie Leloup

Chargée de production : Léa Couqueberg

Attachée d’administration et de production : Allan Périé

Production : Chiens de Navarre

Coproduction : Nuits de Fourvière – Lyon, Théâtre Dijon Bourgogne – CDN, Théâtre de Lorient – CDN, L’apostrophe, Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise – Théâtre de Bayonne, Théâtre du Gymnase – Les Bernardines – Marseille, Le Volcan – Scène nationale du Havre, La Filature – scène nationale de Mulhouse

Avec le soutien à la création de la Villette – Résidences d’artistes 2016, des Plateaux Sauvages – Établissement culturel de la Ville de Paris, de la ferme du Buisson – scène nationale de Marne-la-Vallée et du T2G Théâtre de Gennevilliers

Les Chiens de Navarre sont soutenus par la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et de la Communication et la Région Île-de-France

Nuits de Fourvière

Odéon

Réservations : 04 72 32 00 00

Du 7 au 11 juin 2017, à 21 h 30

Durée : 1 h 30

De 16,50 € à 22 €

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