« la Demande en mariage » et « l’Ours », d’Anton Tchekhov, Théâtre du Grand‐Rond à Toulouse

Spectacle Tchekhov © D.R.

La comédie du bonheur

Par Diane Launay
Les Trois Coups

« L’Ours » et « la Demande en mariage » sont deux des plus célèbres farces d’Anton Tchekhov. À juste titre : les aventures sentimentales de personnages aux caractères bien trempés y sont rendues de manière hilarante et criante de vérité. L’orgueil, la colère et l’avarice laisseront‑ils place à l’amour ? La Cie Le Grenier ‑ Maurice‑Sarrazin nous laisse finement en douter…

C’est avec une certaine poésie à la Chaplin que s’ouvre la Demande en mariage. Un fil tendu où sèche du linge sépare en deux le plateau, frontière symbolique entre deux territoires, entre deux familles de propriétaires terriens. De chaque côté du fil apparaissent deux personnages qui esquissent un ballet muet aux airs de jeu de cache-cache. L’instant est grave pour Lomov, en frac et chapeau haut-de-forme, car il vient demander la main de la fille de son voisin et créancier… Mais, très vite, l’atmosphère romantique de la scène prend une tournure de vaudeville où les protagonistes s’écharpent sans vergogne. La loi qui prévaut à cette union, c’est celle de la propriété, et les discussions autour de la possession par l’une ou l’autre famille d’un pré aux vaches menacent de faire capoter le mariage !

L’Ours, qui a souvent été jouée de pair avec la Demande en mariage, a également pour protagonistes des propriétaires terriens pourvus d’un très sale caractère. Les personnages, et c’est tout l’art de Tchekhov, sont loin d’être dénués d’ambiguïté. Ainsi, la rencontre entre une belle veuve orgueilleuse qui n’a pas froid aux yeux et un célibataire endurci donne lieu à de magnifiques échanges sur l’évolution de la société russe. En question, le statut des femmes, ces « créatures poétiques » qui souhaitent l’égalité, mais se donnent parfois des airs de ne pas y toucher… Le créancier goujat sera bien surpris lorsque la veuve sortira son Smith et Wesson pour le provoquer en duel.

La loi du territoire

Tchekhov, dans ces farces construites sur des intrigues très simples, dissèque les obsessions matérialistes de personnages qui voudraient pourtant bien croire à l’amour. Mais, derrière les portraits psychologiques redoutables de ces êtres empêtrés dans leurs contradictions, une véritable satire sociale est en marche. L’absurdité absolue, dans l’une et l’autre pièce, c’est la loi du territoire, du prestige de la propriété : c’est la loi du père. Loi qui est, dans la Russie de la fin du xixe siècle, de plus en plus mise en question, alors que s’annonce le temps des révolutions… Tchekhov – qu’on ne qualifiera cependant pas de partisan – opère dans son œuvre le lien entre le politique et l’intime. Cette problématique apparaît ici particulièrement à travers le destin des personnages féminins. Dans son œuvre, Tchekhov a toujours accordé beaucoup d’importance aux figures féminines et à leur émancipation. Dans la Demande en mariage, la jeune Natalia Stepanovna n’est qu’un objet d’échange dans un système patriarcal qu’elle ne songe pas même à remettre en cause. Le prétendant, Lomov, est lui aussi instrumentalisé par le père qui cherche à se débarrasser de sa fille… Dans l’Ours, la veuve intrépide armée de son pistolet est, au contraire, celle qui annonce les changements à venir.

Ainsi, les deux pièces proposées par la Cie Le Grenier ‐ Maurice‑Sarrazin sont loin de se limiter à des farces inconséquentes. La mise en scène est vivante, pleine de second degré et d’une distanciation qui rend le propos très contemporain. Le rythme est enlevé, les acteurs comme mus par des ressorts semblent des diables qui sortent de leur boîte. L’ensemble est très bien orchestré, comme une partition jouée prestissimo, par laquelle on se laisse emporter avec plaisir et qui réserve quelques surprises. On pourrait toutefois, au milieu de cette cadence folle, accorder au spectateur quelques instants de suspension supplémentaires, qui laisseraient affleurer la gravité sous-jacente du propos de Tchekhov. Détendre quelque peu le jeu pour lui donner une consistance moins figée. Laisser respirer des situations que l’on a envie de savourer, tant elles ne manquent pas de poésie. Mais, dans l’ensemble, le talent des acteurs Cécile Carles, Olivier Jeannelle et Denis Rey est là pour faire de ces farces fines – paradoxe tchekhovien – un vrai moment de bonheur qui interroge en profondeur la comédie humaine. 

Diane Launay


la Demande en mariage et l’Ours, d’Anton Tchekhov

Cie Le Grenier ‐ Maurice‑Sarrazin • 217, chemin des Crêtes • 31120 Goyrans

05 31 22 10 15

Mise en scène : Jean‑Louis Hébré

Avec : Cécile Carles, Olivier Jeannelle, Denis Rey

Photos : © D.R.

Théâtre du Grand‑Rond • 23 rue des Potiers • 31000 Toulouse

Site du théâtre : http://www.grand-rond.org

Courriel de réservation : contact@grand-rond.org

Du 27 novembre au 8 décembre 2012 à 21 heures

Durée : 1 h 15

12 € | 10 € | 8 € | 6 €

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