Tour de force
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Cela fait plus de quinze ans que Marcel Bozonnet parcourt les scènes du monde avec sa « Princesse de Clèves », une découverte littéraire et théâtrale qui ne se dément pas…
Au point que l’on oublie parfois l’impressionnante carrière de ce grand artiste qui finit par ne faire qu’un avec son héroïne, avec le roman de Mme de La Fayette et avec la langue du xviie. Il ne va pourtant pas chercher la facilité, mais pousse au contraire dans ses retranchements ultimes la radicale altérité de ce texte dont la perfection même nous tient à distance.
Sur une scène tendue de noir, un homme vêtu de blanc s’avance. Cheveux et visage, des pieds jusqu’à la tête, il offre un masque blanc, uniforme, comme un gisant de plâtre… Et pourtant, à y regarder de près, le costume est magnifiquement ouvragé, les tissus raffinés, précieux… Mais la vie, le sang, circulent loin derrière, cachés, tenus, contenus. Impression renforcée encore par une sorte d’entrave dans le mouvement, de gestuelle si codée, si précisément dessinée qu’elle laisse bien peu de place au corps piégé entre fraise et corset : nous sommes à la cour du roi où paraître tient lieu d’être, en tout cas le contraint et l’efface…
Cet homme, c’est bien sûr Marcel Bozonnet qui sera tour à tour Mme de Clèves, sa mère, le Prince et le Duc de Nemours, ainsi que le conteur ébloui de ce roman d’une passion aussi violente qu’impossible, d’un combat entre le désir et la vertu. Il réussit ce tour de force de les incarner vraiment, de nous les faire voir et entendre, de nous transporter dans ce monde où chaque mouvement, chaque geste traduit une intention et où le port de tête à lui seul signe la naissance. De nous faire pénétrer cet univers qu’il nous montre pourtant si distant du nôtre. Pour nos vies agitées, ce temps donné au temps, cette culture de la lenteur, signe de la maîtrise sur les choses et sur soi-même, plus encore que la langue, pourtant incroyablement ouvragée, semblent complètement étrangers.
L’exigence d’un comédien
Tout comme la grandeur et la délicatesse des sentiments des personnages, à la hauteur de la violence de ce qu’ils ressentent. Le poids des conventions, de la morale érigée comme principe de vie, l’aspiration à la hauteur, la peur de déchoir, surtout l’opposition entre ces figures stoïques et verrouillées et le feu qui couve dans leur cœur, nous sont difficiles à comprendre. Même si Christophe Honoré a tenté de prouver le contraire dans la Belle Personne qui reprend les nœuds essentiels de l’intrigue (quiproquo sur la lettre égarée, vol du portrait, mort du mari, séparation brutale) et les éléments fondamentaux du roman (découverte du caractère irrésistible de l’amour, extrême jeunesse des protagonistes, importance du regard dans la rencontre amoureuse, prégnance de la présence d’autrui).
C’est sans doute là la principale réussite de ce spectacle si peu spectaculaire, si avare d’effets, si exigeant et si juste, ne recourant qu’avec parcimonie aux signes théâtraux, que de faire surgir l’émotion quasi miraculeusement. Avec, comme une ponctuation épisodique, l’illustration d’un corps qui tombe et qui meurt, coup de tonnerre dans un ciel bleu… ¶
Trina Mounier
la Princesse de Clèves, d’après le roman de Mme de La Fayette
Mise en scène et interprétation : Marcel Bozonnet
Photo : © Élizabeth Carecchio
T.N.P. • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne
Réservations : 04 78 03 30 00
Du 8 octobre au 20 octobre 2013, du mardi au samedi à 20 heures, dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 15
De 8 € à 24 €