« La réalité n’existe pas », de Vincent Rivard, L’Écume à Paris

« La réalité n’existe pas » © D.R.

Offrez-vous une bonne crise de réalité !

Par Sylvie Beurtheret
Les Trois Coups

Vincent Rivard signe une nouvelle pièce de bar, dans laquelle deux comédiennes s’amusent à dissoudre la réalité dans la fiction, noyant les spectateurs pour mieux percer avec eux la nature du réel. Une expérience audacieuse, ludique, salutaire et déjantée. Un vrai régal de spectacle vivant !

Figurez-vous que j’ai fait une crise de réalité ! Parfaitement, ça existe. J’étais accoudée au bar de L’Écume (charmant refuge, soit dit en passant, enfoui dans la végétation verdoyante d’une petite impasse bucolique du XXe arrondissement) devant ma blonde chopine de bière, quand j’ai soudain perdu pied, éprouvant l’impression étrange de fondre comme un sucre. C’est que, drôlement bizarre, je ne distinguais plus la frontière entre fiction et réalité, entre théâtre et vie. Les deux jeunes et jolies copines là, en train de déballer leurs petites histoires personnelles et de se poser de grandes questions existentielles avec un naturel confondant, c’étaient des comédiennes ou quoi ? Et les gens, sirotant leurs consommations, des spectateurs ou non ? Et moi, que faisais-je ici au fait, pilier de bar ou critique pour vous servir ? Aaaaaaah…, j’ai cru devenir dingue ! Heureusement qu’un certain Vincent Rivard, qui passait par là, m’a tout expliqué.

Car il existe vraiment Vincent Rivard ! Même qu’avec son crâne d’œuf et ses yeux pétillants d’intelligence derrière ses petites lunettes cerclées de métal, on dirait le Pr Nimbus. Pas étonnant ! Dans une autre vie, avant sa conversion à l’art dramatique, ce presque quadra tourmenté depuis toujours par l’obsédante question « qu’est-ce que la réalité ? » a été un vrai scientifique. Chercheur en physique fondamentale, il cherchait… à percer le mystère du réel. Sans succès. De sorte qu’il a décidé un jour de troquer sa blouse sérieuse de savant contre le costume moins étriqué de comédien, auteur et metteur en scène. Le théâtre n’était-il pas, par excellence, le lieu où le faux engendre le vrai ? Le passionnant et passionné doux-dingue tenait là un nouvel espace de réflexion, un champ de recherche bien plus excitant pour résoudre l’abstraite et lancinante question.

La réponse aurait pu virer au spectacle jus de crâne philosophico-soporifique à mourir. Pas avec Vincent Rivard. Gentil pourfendeur d’un certain théâtre mort, « chiant » du marbre à force de trop (trop d’effets, trop de formalisme, trop de raideur), Rivard s’obstine lui, en toute humilité, à ne faire que du spectacle bien vivant. Avec sa troupe En compagnie des hommes, l’ex-féru de mécanique quantique ne jure que par « un théâtre à hauteur d’homme », simple, sincère et spontané, libérant l’acteur de ses clichés. Un théâtre explosant les codes et appuyant si bien là où ça fait vrai qu’il gomme la frontière entre la scène et la vie. Pour donner quoi au juste ?

Ça : La réalité n’existe pas. Soit une insolite et salvatrice aventure scénique au beau milieu d’un bar, où un duo redoutablement efficace de comédiennes au jeu totalement organique nous embarque avec jubilation dans leurs confidences et leurs interrogations existentielles. Histoire de nous balancer à la figure toute la complexité et la relativité du réel. Et ça marche ! Il faut dire que Vincent Rivard a su trouver les actrices (avec une mention toute particulière pour la très douée et intense Mélanie Jaunay) capables de travailler selon « la méthode des études ». Une méthode éprouvée depuis plus d’un siècle dans le théâtre russe, qui, fondée sur des règles strictes d’improvisation, permet au comédien d’intégrer progressivement les éléments de la fiction à sa propre personnalité, à sa propre réalité.

Voilà donc d’où elle nous vient cette impression étrange que Cyrielle Voguet et Mélanie Jaunay ne jouent pas un texte, mais nous parlent avec leurs propres mots ! Pourtant le texte existe, je le jure, tout truffé de désopilantes trouvailles. Vincent Rivard l’a ciselé de sa plume facétieuse, tout exprès pour ces deux comédiennes, selon le fécond principe d’allers-retours du plateau à l’écriture. Ce soir-là, ce fameux texte était planqué sous le bar. C’est le poisson Bob (vous savez celui qu’on noie dans les conversations) qui, transformé en doberman, l’a flairé et débusqué. Du coup, nos deux copines, réalisant qu’elles n’étaient finalement que deux comédiennes prisonnières d’un spectacle, se sont carapatées en douce !

Vous n’avez rien compris ? C’est qu’il faut le voir pour y croire. Offrez-vous donc une crise de réalité ! Il ne vous en coûtera qu’une consommation puisque, pour le reste, les artistes font appel à votre générosité. Une façon de vous faire retomber sur terre en vous faisant mettre la main à la poche ! 

Sylvie Beurtheret


La réalité n’existe pas, de Vincent Rivard

En compagnie des hommes • 12, rue des Rondeaux • 75020 Paris

Mise en scène : Vincent Rivard

Avec : Cyrielle Voguet, Mélanie Jaunay

Photo : © D.R.

L’Écume, bartistique • 7, villa de l’Ermitage • 75020 Paris

01 44 62 73 09

Tous les jeudis, du 22 avril au 27 mai 2010 à 21 heures

Durée : 1 h 20

Prévoir d’arriver en avance pour trouver une place assise et commander un verre avant le début de la représentation.

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