Une jolie pièce dans une peau de roman
Par Sylvie Beurtheret
Les Trois Coups
Amis poètes, ouvrez grandes vos esgourdes : Brassens le troubadour est de retour ! Juré ! Georges-la-Gouape fait le cimetière buissonnier au Théâtre de l’Européen. Et l’on y jouit sous son verbe fleuri que ressuscitent deux ostrogoths de génie. Un truculent miracle dont il faut, ici, assurer la renommée. Trompettes, sonnez !
V’la donc revenu le temps du Nouvel An. Avec sa ronde de serments. Et… de mauvais pressentiments. Aux alentours, on entend que tu meurs d’étouffement, cher spectacle vivant. Le manque de financement, c’est déprimant. Mais Dieu soit loué, il y en a des qu’ont du talent ! Des résistants, des exigeants. Des passionnés, des pas avares, qui savent tromper l’ambiant cafard, en nous offrant à boire de vrais nectars. Ivan Morane est de ceux-ci, qui a sorti – ho ! hisse ! – de son sac à malices, un rabelaisien délice. Voici la Tour des miracles, adaptation joviale et théâtrale d’un roman pas très moral, de notre grand Brassens national. Rodé dans les Pyrénées du Midi, cet allumé spectacle espère toucher au pinacle, en conquérant Paris. Courez-y ventre à terre vous y péter la sous-ventrière !
Le trousseur de femmes et persifleur de soutanes
C’est en 1950 qu’il fut écrit, ce roman, qui dit en raccourci, avec une tendresse infinie, la folle et douce vie de Georges-la-Poésie. Le trousseur de femmes et persifleur de soutanes créchait chez la Jeanne, alors, avec ses copains d’abord. Théâtrale magie, nous y voici introduits ! Murs, meubles, fenêtres, poêle à charbon sont en carton : dans cette « miraclifique » maison, le confort, on s’en soucie pas plus que de colin-tampon ! Traînent dans un foutu bric et broc, qu’organise un gorille en toc, de faux chats, de vraies grammaires, un vrai lit, de fausses grand-mères, une échelle précaire, une marionnette extraordinaire. Et plein d’ustensiles illogiques, parfois scatologiques. Ce bouge est un palace pour la fine fleur d’la populace.
C’est que vit là une drôle de Camorra. Entre autres, Courtes-pattes, cul-de-jatte de la dernière guerre. Une avaleuse de pierres et un cocu de porte cochère. Annie Pan-Pan-Pan, qu’a le vagin trop grand. Son tout petit mari, nommé Voirie-Voirie. La garce de Pile-Face, écrabouillant la face des mécréants de la rotondité de son séant. Et, donnant vie à ces pendards, Ivan Morane et Régis Maynard : deux comédiens talentueux, aux allures de culs-terreux. Des saltimbanques de tréteaux, qui jouent vrai pour de faux. Des marionnettistes, des illusionnistes. Des croquignols guignols, qui vous affolent la boussole, tantôt tendres, tantôt féroces, tantôt lourds, tantôt véloces. On fait partie de la famille, à ouïr ces joyeux drilles, et tous ces airs populaires qui ne se sont jamais donné l’air. Ah… c’est trop fort, Brassens n’est pas mort !
La fin est délectable. Vous la dire serait regrettable. Si vous voulez savoir où ces hurluberlus se barrent au moindre coup de Trafalgar, vous n’avez qu’à y aller voir. En guise de point final, je préviens juste, c’est bien normal, que cette farce de poète colle des gros nœuds à la tête : faut un esprit plus grand qu’un dé à coudre pour apprécier sans s’y dissoudre ! Mais, nom de nom, que c’est bon de n’être pas pris pour un con ! ¶
Sylvie Beurtheret
La Tour des miracles, d’après le roman de Georges Brassens
Avec l’amicale autorisation et le soutien de Serge Cazzani, neveu et ayant-droit de Georges Brassens
Cie Ivan-Morane
Adaptation et mise en scène : Ivan Morane
Avec : Régis Maynard, Ivan Morane et la participation de Jean-Luc Maurs
Musiques : Georges Brassens
Enregistrées par : Jean-Philippe Vié, Grégory Daltin, Démis et Lorry Delatie
Mixées par : Fabien Auguin
Photo : © Fix
Théâtre de l’Européen • 5, rue Biot • 75017 Paris
Réservations : 01 43 87 97 13
Du 6 au 28 janvier 2010, du mercredi au samedi à 20 h 30, dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 25
22 € | 16 €
Tournée nationale organisée en 2011 à l’occasion des 30 ans de la disparition de Georges Brassens