« l’Amant », de Harold Pinter, Théâtre des Clochards‑Célestes à Lyon

« l’Amant »

« À quelle heure
vient ton amant ? »

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

C’est en apparence une histoire simple et ordinaire, comme les aime Harold Pinter. Et comme sait les raconter avec ce qu’il faut de justesse et de subtilité Olivier Maurin.

L’auteur anglais aime montrer l’intrusion de l’étrange et de l’inquiétant dans la vie quotidienne la plus banale. Ici, celle de Sarah et Richard, mariés depuis dix ans et, semble-t-il, heureux. Heureux puisque tout y est lisse, sans aspérité, sans crise. Nous les rencontrons au petit matin, attablés devant leur petit déjeuner : Richard va partir, elle rester à la maison. Ils échangent donc sur le ton de l’information leur programme de la journée. Que du traditionnel pour l’instant. Olivier Maurin les place dans un décor années 1960 où la télécommande joue les intrus et introduit déjà un décalage temporel. Elle, incarnée par Clémentine Allais qui semble y prendre un grand plaisir et nous le fait partager, est joyeuse, mutine, complice avec les spectateurs, qu’elle utilise comme un miroir ou un voisin de vis-à-vis pour admirer sa silhouette, tirer sur sa robe. Lui est plus sérieux, en employé modèle prêt à revêtir l’uniforme du travail.

Quand au milieu des informations échangées tombe une question : « À quelle heure vient ton amant ? ». Ce n’est pas tant la révélation du ménage à trois qui est en décalage avec la situation (le vaudeville en fait la règle), mais le ton employé (tranquille), l’objectif du mari (ne pas rentrer trop tôt pour ne pas gêner) et l’absence de réaction autre que nonchalante et banale de son épouse. Car la venue de l’amant, nous apprend-on, est régulière, habituelle. Et cette réalité ne paraît ni intime ni anormale aux deux protagonistes : n’est-il pas entendu que, dans nos sociétés, les épouses ont un amant quand leur mari va aux putes ? Question qui est abordée sur le ton de la conversation par Sarah et Richard, même si l’on sent chez ce dernier comme un début d’agacement.

L’amant introuvable

Le mari sort, entre l’amant. Qui ressemble à s’y méprendre au mari (et joué par le même comédien, Arthur Fourcade, au rôle donc complexe puisque double). Mais s’agit-il bien de l’amant ? ou du mari qui joue l’amant ? À quel jeu assistons-nous ? Et quel jeu veut-on, veut Harold Pinter, veut Olivier Maurin, nous faire jouer ? Que devenons-nous, nous spectateurs ? Des complices d’une scène adultère dans le dos du mari ? des voyeurs ? des témoins ? des invités à un spectacle pervers par un couple en quête de piment pour une relation tombée dans la routine ?

Du coup, les adresses au public, les mines et les postures de Sarah prennent, non pas un autre sens, mais une multitude de sens… Évidemment, aucune réponse ne nous sera donnée, quoique les comédiens, en posant par intervalles leurs mains à plat sur une vitre imaginaire, nous donnent le sentiment d’être des entomologistes en train d’observer de curieux et bien proches insectes. Ce n’est pas un hasard si Olivier Maurin a monté il y a quelques années des textes de Kafka…

Au fur et à mesure que la pièce avance (Harold Pinter est maître dans l’art de faire progresser des intrigues apparemment immobiles), on est pris d’un vertige devant la multiplication des inconnues dans une histoire pourtant très simple : unité de lieu, deux personnages et une action qui se déforme comme dans une galerie des glaces. Mais l’abîme qui s’ouvre devant nous n’empêche pas qu’on rit souvent.

Les comédiens sont confondants de naturel, tout en entretenant les équivoques. Et Olivier Maurin prouve une fois de plus son aisance à dérouler les plis, ouvrir et fermer les tiroirs, suggérer sans peser. Qui plus est, il nous donne l’occasion de rire et de sourire, de participer à ce jeu tout à fait piquant aux frontières de l’absurde. 

Trina Mounier

Lire aussi « l’Amant », de Harold Pinter (critique), Le Lucernaire à Paris

Lire aussi « l’Amant », de Harold Pinter (critique), Café de la danse à Paris

Lire aussi « l’Amant », de Harold Pinter (critique), Théâtre Marigny à Paris


l’Amant, de Harold Pinter

Traduction : Éric Kahane

Cie Ostinato • compagnie.ostinato@gmail.com

Olivier Maurin • 06 75 40 33 02

Mise en scène : Olivier Maurin

Avec : Clémentine Allain et Arthur Fourcade

Photo : © D.R.

Théâtre des Clochards-Célestes • 51, rue des Tables-Claudiennes • 69001 Lyon

Réservations : 04 78 28 34 45

www.clochardscelestes.com

Du 25 mars au 5 avril 2014, lundi à 19 heures, mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20 heures, sauf le samedi 5 avril à 17 heures, dimanche à 17 heures, relâche le jeudi

Durée : 1 h 15

15 € | 11 € | 8 € – le lundi, tarif unique à 8 €

Autour du spectacle :

– Mardi 1er avril, après la représentation, rencontre et débat en présence de Brigitte Gauthier, professeur à l’université d’Évry, directrice du laboratoire de recherche du S.L.A.M. (Synergies, langues, arts, musique), auteur notamment de Harold Pinter, le maître de la fragmentation, chez L’Harmattan

À propos de l'auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Du coup, vous aimerez aussi...

Pour en découvrir plus
Catégories

contact@lestroiscoups.fr

 © LES TROIS COUPS

Précédent
Suivant