« l’Amante anglaise », de Marguerite Duras, centre culturel Charlie‑Chaplin à Vaulx‑en‑Velin

l’Amante anglaise © Thierry Chassepoux

Plongée dans les ressorts du monstre

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Laurent Vercelletto termine en beauté une résidence de sept ans au centre culturel Charlie‑Chaplin avec « l’Amante anglaise » de Marguerite Duras.

La pièce trouve son origine dans un fait-divers particulièrement sanglant (ces faits-divers qui ont toujours passionné l’écrivain) : la découverte des morceaux d’un cadavre éparpillés dans divers trains de marchandises qui passaient tous sous un même viaduc. La meurtrière avait rapidement reconnu les faits, mais sans pouvoir expliquer son acte resté pour elle-même incompréhensible.

Marguerite Duras a changé les noms et les lieux (sauf celui du viaduc, dit de la Montagne-Pavée) et l’identité de la victime. Le mari assassiné est devenu dans la pièce Pierre Lannes, interrogé comme témoin par la police et les juges. La victime de Claire Lannes, cette fois, est sa propre cousine, sourde et muette, logée par le couple en échange de l’entretien de la maison. Très vite, Claire Lannes, alias Amélie Rabilloux, avouera son crime. Mais l’essentiel demeure : un meurtre aussi abominable (on n’a jamais retrouvé la tête de la victime) sidère et pose la question du pourquoi sans qu’on puisse jamais apporter de réponse. C’est pourtant autour de cette question que s’articule toute la pièce conçue comme deux interrogatoires successifs.

Celui de Claire Lannes, la meurtrière, puis de Pierre Lannes, son mari et témoin (quoiqu’il n’ait rien vu), par « l’interrogateur ». Qui est ce personnage ? Ni juge ni policier, il est peut-être psychiatre ou journaliste… À moins qu’il ne soit Marguerite Duras elle-même…

Laurent Vercelletto a choisi une scénographie très intéressante. Les spectateurs sont conduits après un court labyrinthe, puis une brève station devant une porte fermée où vont lui être racontés les principaux éléments de l’intrigue, dans la salle du premier interrogatoire. Pierre Lannes est assis sur un fauteuil au centre d’une sorte de tournette (qui ne tournera pas), elle-même au milieu d’une scène en demi-cercle tendue de rouge.

Le metteur en scène installe tout de suite ce personnage, joué par Gilles Najean, en représentation. L’homme est grand, mince, vêtu de gris, image caricaturale du petit-bourgeois de province. Son discours et son visage sont sans émotion, rien ne trahit ne fût‑ce qu’un intérêt, un regret, une sollicitude, ni pour la victime ni pour sa meurtrière d’épouse emprisonnée. Le personnage n’est pas sympathique. Tout en semblant jouer le jeu avec bonne volonté, il ne livrera rien, prétextant ne rien avoir vu venir, ne rien comprendre aujourd’hui, ne s’inquiéter de rien ni de personne pour l’avenir.

Laurent Vercelletto a installé l’interrogateur en fond de salle, derrière le public, dans l’obscurité. C’est Jean‑Philippe Salério qui a accepté ce rôle effacé, sans doute un peu frustrant. Lui non plus ne révèle rien. Ni policier ni juge, il ne condamne ni n’émet d’opinion. Il interroge, ou plutôt il s’interroge. Cette disposition est très efficace. Elle sera reconduite lors du second interrogatoire. Elle donne le sentiment, même s’il est évident que Claire comme Pierre répondent à cet interrogateur placé derrière nous, que c’est à nous que leur parole s’adresse. Cela nous les rend plus familiers. Cela rend la monstruosité plus proche. Et paradoxalement toujours aussi incompréhensible.

De magnifiques comédiens pour un texte sublime

Puis c’est de nouveau l’interrogateur qui va nous conduire dans une grande salle où Claire Lannes nous attend. Attifée d’une robe grise peu seyante, cette femme entre deux âges est debout en fond de scène devant un grand mur d’un blanc étincelant. Au fur et à mesure de l’interrogatoire, elle se rapprochera sur le devant de scène. Très réservée au début, presque craintive, elle va, en se mettant en avant, paraître un peu plus folle, laisser s’exprimer cette part d’elle si monstrueuse, commencer à parler, enfin, elle, la silencieuse.

C’est un personnage tout en contradictions que joue Christine Brotons, une femme qui découvre le plaisir de parler, et surtout de parler d’elle-même, celui d’être écoutée surtout, qui conditionne le reste. Elle ne dira rien de plus sur son crime, mais c’est un vertige qui la saisit, comme si elle succombait à une drogue. Sur le visage, dans le corps, dans le mouvement des mains de Christine Brotons passent quantité de sentiments, qui vont de l’affolement au désarroi, de la ruse à l’innocence enfantine, à l’excitation joyeuse… Magnifique comédienne au jeu pluriel, subtil, capable de se laisser traverser en un éclair par une multitude d’émotions.

C’est un bien beau spectacle qui confirme le talent de directeur d’acteurs et de metteur en scène de Laurent Vercelletto. 

Trina Mounier


l’Amante anglaise, de Marguerite Duras

Mise en scène : Laurent Vercelletto

Avec : Christine Brotons, Gilles Najean, Jean‑Philippe Salério

Costumes : Angelina Herrero

Lumières : Claude Couffin

Régie générale : Martial Jacquemet

Administrateur de production : Jean‑Claude Varlet

Centre culturel Charlie‑Chaplin • place de la Nation • 69120 Vaulx‑en‑Velin

www.centrecharliechaplin.com

04 72 04 81 18

Du 5 au 12 octobre 2016, jeudi, vendredi et samedi à 20 h 30, lundi, mardi et mercredi à 19 h 30, relâche le dimanche

Durée : 1 h 40

De 6 € à 13 €

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