« Laterna Magica » et« À ceux qui nous ont offensés », Théâtre 11, Gilgamesh Belleville, le Off d’Avignon

À-ceux-qui-nous-ont-offensés-Jérémie-Lefebvre-Carine-Bouquillon

Toiles de maîtres au Gilgamesh

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Avec « Laterna Magica » et« À ceux qui nous ont offensés », le Gilgamesh Belleville offre l’opportunité de découvrir deux textes incandescents portés par des interprétations et des mises en scène fortes : deux regards âpres sur l’enfance, la violence des hommes et l’indifférence de Dieu. 

Dorian Rossel est à l’honneur pour cette édition du Off d’Avignon. Outre L’Oiseau Migrateur à la Maison du théâtre pour enfants, Laterna magica raconte une enfance illustre : celle d’Ingmar Bergman. Ce dernier spectacle s’intéresse plus précisément à la genèse d’une œuvre fondée sur le refus de l’effusion et sur les masques.

Il en résulte des choix extrêmement cohérents. Tout d’abord, la dramaturgie opte pour une série d’instantanés révélateurs, plutôt que pour un récit linéaire. Et logiquement, le travail sur la lumière accentue les zones d’ombre et l’éclatement de la narration, même si on repère une chronologie. Au point de vue scénographique, voiles et toiles diffractent parallèlement l’espace. Clin d’œil à la vocation d’Ingmar, ils révèlent la transfiguration poétique que l’artiste opère sur le réel.

« Je ne participe pas au drame »

Quant au jeu remarquable de Fabien Coquil, il est d’une précision presque clinique. De fait, le comédien joue énormément avec ses mains, un peu à la manière d’un Stanislas Nordey, ce qui donne l’impression d’assister à une chorégraphie étrange. L’ironie mordante de Bergman trouve ainsi son répondant dans cette incarnation habile et glaçante. Le grand guignol familial où les coups de bâton sont assenés par un père fanatique, déchaîne, quant à lui, « une désespérante distance ». Rien à redire : Dorian Rossel met en place une implacable organisation de l’indicible familial. C’est net, précis, bien mené… et froid.

À ceux qui nous ont offensés offre similitudes et contrastes avec ce premier spectacle. Du côté des différences : la fréquentation du public. Les rangs de spectateurs sont plus clairsemés : difficile de se faire une place dans la jungle du Off quand on évoque la vie d’un inconnu peut-être imaginaire et qu’on bénéficie en tant que metteuse en scène d’une moindre reconnaissance. Pourtant, le spectacle ne propose pas un texte moins intéressant, une scénographie moins belle, une interprétation moins forte.

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« Laterna magica » d’Ingmar Bergman, mis en scène par Dorian Rossel et Delphine Lanza © Carole Parodi

D’abord, côté texte, on reste K.O. face à la violence cathartique d’un verbe, proche de l’anathème. Et s’il est difficile de supporter la noirceur de cette logorrhée bileuse, on reconnaît une vraie plume et l’on se prend à vouloir feuilleter ce Collège de Buchy qui est à la source du spectacle. Côté, scénographie, la toile de cinéma laisse place à une toile d’araignée. Elle est, en fait, la métaphore du harcèlement. Car pour le narrateur, le collège renfermait des enfants prédateurs, métamorphosés en animaux par leurs instincts grégaires et leur besoin de bouc émissaire. Minimaliste, ciselée dans ses lumières, comme celle de Laterna magica, cette scénographie est extrêmement bien pensée. Il en est de même de la mise en scène qui permet de saisir l’étouffement de l’enfant, son rapport douloureux aux autres et à Dieu.

Enfin, l’interprétation de Bruno Tuchszer est magistrale. À elle seule, elle vaudrait le détour. Il nous fait traverser la nuit blanche d’un père qui vient de découvrir que son fils est devenu un petit tortionnaire, comme ceux dont il a été jadis la proie. Il fait palper sa folie meurtrière d’adulte, sa déréliction de petit orphelin victime de la vindicte et finalement persuadé de la mériter. S’il nous montre un être englué dans la toile, c’est une toile de maître : un magnifique voyage au bout de la nuit. 

Laura Plas


Laterna magica, d’Ingmar Bergman

Le texte est édité chez Gallimard

Compagnie STT

Mise en scène : Dorian Rossel et Delphine Lanza

Avec : Fabien Coquil, Delphine Lanza et Ilya Levin

Durée : 1 h 25

À partir de 12 ans

Du 5 au 23 juillet 2019, du lundi au samedi à 10 h 30, relâche les 10 et 17 juillet 2019


À ceux qui nous ont offensés, de Jérémie Lefebvre et Carine Bouquillon

Le texte du Collège de Buchy est publié aux Éditions Lunatiques

Grand Boucan

Mise en scène : Carine Bouquillon

Avec : Bruno Tuchszer

Durée : 1 h 05

À partir de 13 ans

Vidéo de présentation

Du 5 au 26 juillet 2019, du lundi au samedi à 15 h 35, relâche les 10, 17 et 24 juillet 2019

Théâtre 11 – Gilgamesh Belleville • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon

Dans le cadre du Off d’Avignon

De 8 € à 20 €

Réservations : 04 90 89 82 63


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ Quartier lointain, de Jirō Taniguchi, mise en scène de Dorian Rossel, par Florent Coudeyrat

☛ Oblomov, d’après Ivon Gontcharov, mise en scène de Dorian Rossel, par Céline Doukhan

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