« le Cercle de craie » d’Alexander von Zemlinsky, Opéra de Lyon

« le Cercle de craie » - Mise en scène de Richard Brunel © Jean-Louis Fernandez

Brecht hors du cercle

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Produit pour la première fois en France, « le Cercle de craie » est un opéra passionnant à découvrir à l’Opéra de Lyon, dans une mise en scène de Richard Brunel.

Serge Dorny, directeur de l’Opéra de Lyon et Richard Brunel, metteur en scène, sont une nouvelle fois complices pour aborder une thématique qui leur tient à cœur : la justice. L’œuvre de Zemlinsky, composée en 1932 et interdite par le régime nazi, créée à Zürich en 1933, s’inspire d’un vieux conte chinois, une parabole en forme de critique sociale. Suicide du père, prostitution, corruption, empoisonnement, condamnation à mort jalonnent le parcours pathétique d’une jeune femme dont l’enfant devient un véritable enjeu.

À force de courage et de bonté, elle obtient la garde de son fils et, lui, trouve un père putatif, son amant quand elle était fille de joie. Construit en deux parties de dimensions inégales, l’opéra mêle finement réalisme et onirisme pour s’achever avec un happy end. La musique procède d’un tuilage assumé faisant référence à Kurt Weill, au jazz et à l’influence symphonique de Richard Strauss.

« le Cercle de craie » - Mise en scène de Richard Brunel © Jean-Louis Fernandez
« le Cercle de craie » – Mise en scène de Richard Brunel © Jean-Louis Fernandez

Une mise en scène « débrechtisée »

Se tenant volontairement à distance de la dramaturgie de Bertolt Brecht qui créa en 1945, à partir du même thème légendaire chinois, son célèbre Cercle de craie caucasien, Richard Brunel bâtit une mise en scène quasi cinématographique. La scène est occupée par une utilisation répétée de plans larges, que découpent des jeux de voilement et de dévoilement effectués par de grands rideaux violemment éclairés. Les personnages, habillés essentiellement de blanc et de gris, semblent appartenir à des clichés glacés et surexposés. Même les scènes de bordel sont traitées de façon clinique. Quelques éventails, quelques coiffures et le costume à la Elton John du maquereau sont les seules ruptures colorées.

Pas d’exotisme extrême-oriental non plus, mais une sévérité d’ensemble que le rouge écarlate de la tenue de prisonnière de l’héroïne vient perturber au moment du jugement final. Image glaçante qui traduit toute la brutalité d’une société pratiquant la peine de mort. Richard Brunel manie un art de la scène au scalpel, loin de toute sensualité et de toute psychologisation. Il ne concède à la poésie onirique qu’un impressionnant et angoissant effet de tempête de neige continue, dans la seconde partie du spectacle. L’intérêt de son travail tient à son talent pour maîtriser l’alliance entre engagement pour une juste cause et rigueur esthétique. Les scènes de procès, entre autres, en sont une efficace illustration.

« le Cercle de craie » - Mise en scène de Richard Brunel © Jean-Louis Fernandez
« le Cercle de craie » – Mise en scène de Richard Brunel © Jean-Louis Fernandez

Saisissante Ilse Eerens

En osmose parfaite avec la direction musicale rigoureuse et nuancée de Lothar Koenigs, la soprano Ilse Eerens survole la représentation, dans le rôle-titre de Tschang-Haitang, la jeune femme qui veut qu’on lui rende justice. Fine silhouette obstinée, corporellement et vocalement à l’aise, elle se joue de tout sentimentalisme. Brièvement aimée ou souvent violentée, entravée par des menottes ou embrassée par son fils retrouvé, solidaire de son frère révolutionnaire ou abandonnée dans une effroyable solitude, elle fascine par son engagement de comédienne. Enfin, sa voix, nerveuse ou douce, aussi à l’aise dans les séquences plus rythmées où l’orchestre a des airs de cabaret, que dans celles où se développe une partition plus symphonique, mérite les ovations qu’elle reçoit aux saluts. 

Michel Dieuaide


le Cercle de craie, opéra en trois actes d’Alexander von Zemlinsky
Direction musicale : Lothar Koenigs
Mise en scène : Richard Brunel
Décors : Anouk Dell’Aiera
Costumes : Benjamin Moreau
Lumières : Christian Pinaud
Dramaturgie : Catherine Ailloud-Nicolas
Vidéo : Fabienne Gras
Orchestre, Maîtrise et Studio de l’Opéra de Lyon
Avec : Lauri Vasar (Tschang-Ling), Martin Winkler (Mr Ma), Nicola Beller Carbone (Yü-Pei), Ilse Eerens (Tschang-Haitang), Stephan Rügamer (Prince Pao), Stefan Kurt (Tschu-Tschu), Zachary Altman (Tschao), Paul Kaufmann (Tong), Doris Lamprecht (Mrs Tchang), Hedwig Fassbender (Sage-Femme), Joséphine Göhmann (Une bouquetière), Luke Sinclair, Alexandre Pradier (Deux coolies), Matthew Buswell (Soldat)
Production : Opéra de Lyon
Opéra de Lyon • Place de la Comédie • 69001 Lyon
Réservation : billetterie@opera-lyon.com / 04 69 85 54 54
Représentations : du 20 janvier au 1er février 2018 à 20 heures
Durée : 2 h 50 environ
Tarifs : de 10 € à 85 €


À découvrir sur Les Trois Coups : 

le Silence du Walhalla d’Olivier Balazuc, Théâtre national populaire à Villeurbanne / Par Michel Dieuaide

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