« le Mariage de Maria Braun », d’après Fassbinder, cour du lycée Saint‑Joseph à Avignon

« le Mariage de Maria Braun » © Christophe Raynaud de Lage

Ostermeier célèbre
l’art du théâtre

Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups

Reprise, en cette fin de Festival, d’un spectacle créé par le grand Thomas Ostermeier en 2007 : « le Mariage de Maria Braun », inspiré du film de Fassbinder. Une tranche d’histoire allemande à travers le portrait d’une femme d’exception, le tout servi par une mise en scène impeccable.

Le Mariage de Maria Braun, tourné par le réalisateur Rainer Fassbinder en 1978, est le premier volet de la « trilogie allemande » du cinéaste. C’est avant tout le récit d’un amour fou : celui d’une jeune femme pour un homme avec qui elle n’a été mariée que deux jours. Thomas Ostermeier est resté très fidèle à cette trame romanesque riche en péripéties. Hermann Braun est parti au combat le lendemain de son mariage, en 1940. Au moment de la défaite, la fausse nouvelle de sa mort conduit Maria à devenir entraîneuse dans un bar fréquenté par les troupes d’occupation américaines. Tombée enceinte, elle apprend que son mari est en fait prisonnier de guerre. À peine libéré, celui-ci s’accusera du meurtre de l’amant de sa femme, qu’elle a tué elle-même au cours d’une bagarre, et retournera en prison. Après avoir perdu son enfant, Maria rencontre l’autre homme de sa vie, un riche industriel, et deviendra son associée.

Que faut-il donc pour rendre une mise en scène captivante ? se demande le spectateur tout le long de la pièce. C’est d’abord l’intelligence du projet lui-même qu’il faut souligner. Pour ne pas rester prisonnier de son modèle, Ostermeier s’est moins inspiré du film de Fassbinder que de son scénario. Conservant d’abord la trace de cette écriture scénaristique, la pièce s’en émancipe progressivement, et de cette transposition même d’un langage à l’autre, le metteur en scène a fait, sinon le sujet, du moins l’un des enjeux majeurs de son spectacle. Un spectacle plein d’allant, qui conserve le rythme rapide du montage cinématographique, tout en utilisant constamment des moyens proprement théâtraux. Dans cette adaptation aussi épurée qu’efficace, quelques fauteuils disposés sur le plateau deviennent ainsi tour à tour compartiment de train ou sièges de voiture… Cela tourne presque à l’exercice de style – mais un exercice parfaitement maîtrisé, qui est en même temps une façon de célébrer l’art du théâtre.

Une aventurière moderne

Une direction d’acteurs sans failles participe évidemment de cette formidable leçon de mise en scène. Ostermeier a confié le rôle de Maria à la blonde Ursina Lardi. Celle-ci campe avec brio, mais aussi avec une certaine distance, ce personnage de femme fière et indépendante qui vend son corps à l’occupant tout en restant fidèle à sa façon au souvenir de son mari d’un jour. Maria Braun est une sorte d’aventurière moderne : celle qui « a appris l’anglais au lit » a aussi appris à tenir tête aux hommes, et cet aspect féministe de l’œuvre renvoie à une réalité historique : le rôle des femmes dans la reconstruction de l’Allemagne après la guerre. Quatre comédiens masculins – tous excellents – se partagent les autres rôles. Cette distribution resserrée implique des métamorphoses incessantes : les comédiens changent de casquette à chaque instant avec une virtuosité étourdissante. Un imperméable enfilé à l’envers devient une blouse de médecin, et l’on ne compte pas les chapeaux, uniformes, ventres ou seins postiches… Un ballet d’une extrême précision qui donne son caractère au spectacle.

On le voit, le metteur en scène mêle le sérieux et l’humour dans le traitement de son sujet. Car le fond du propos, c’est-à-dire l’arrière-plan historique, n’est nullement perdu de vue. Fassbinder avait voulu voir dans le destin trouble de cette femme comme un résumé de l’histoire chaotique de l’immédiat après-guerre. Ostermeier, lui non plus, ne néglige jamais la dimension politique de ses créations. Projetées sur un écran au fond du plateau, des images d’archives en noir et blanc (peu nombreuses et utilisées à bon escient) aident le spectateur à se replonger dans l’époque, tandis que le metteur en scène semble attaché à sa vision d’une Allemagne démilitarisée au cœur de l’Europe. Autre signe de son engagement : le soutien ouvertement affiché aux intermittents du spectacle. Un soutien assumé sans ambiguïté puisque Ursina Lardi se met soudain à lire au micro, en français, une déclaration à ce sujet, au moment même où se trouve abordée dans la pièce la question syndicale. 

Fabrice Chêne


le Mariage de Maria Braun, d’après Rainer Werner Fassbinder

Mise en scène : Thomas Ostermeier

Avec : Thomas Bading, Robert Beyer, Moritz Gottwald, Ursina Lardi, Sebastian Schwartz

Scénario : Peter Märthesheimer, Pea Fröhlich

Scénographie : Nina Wetzel

Costumes : Nina Wetzel, Ulrike Gutbrod

Dramaturgie : Julie Lochte

Musique : Nils Ostendorf

Vidéo : Sébastien Dupouey

Photo : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Festival d’Avignon

Cour du lycée Saint-Joseph • 84000 Avignon

Réservations : 01 90 14 14 14

Les 23, 24, 25, 26 et 27 juillet 2014 à 22 heures

Durée : 1 h 50

28 € | 22 € | 14 € | 10 €

http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2014/die-ehe-der-maria-braun

http://www.pearltrees.com/festivaldavignon/maria-braun-thomas-ostermeier/id11480056

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