« le Mariage forcé de George Dandin », d’après Molière, Ciné 13‑Théâtre à Paris

« le Mariage forcé de George Dandin » © Stanislas Liban

Un mariage bien mal assorti

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Une jeune compagnie assemble deux Molière et les transporte dans l’Amérique de la Grande Dépression : un parti pris qui laisse sceptique.

Rapprocher le Mariage forcé et George Dandin n’est pas aberrant. Peu jouées, voire méconnues, ces œuvres ont une parenté évidente de sujets. Dans l’une, le vieux Sganarelle espère profiter de la fortune que lui a procurée une vie de labeur pour s’offrir une épouse, une mignonne issue d’une lignée noble et ruinée. Des personnages de rencontre l’en dissuadent, mais il subit la menace physique de sa belle-famille et ne peut plus se dédire. Dans l’autre, les noces du riche paysan Dandin avec sa belle aristocrate désargentée sont déjà consommées. Le mal est fait et le texte est une variation aigre-douce sur le thème de la mésalliance. La première comédie joue sur le gros rire et les coups de bâton. La seconde est peut‑être l’une des plus aiguë de Molière, où le héros parvient aux portes du suicide lorsque tombe le rideau de fin. La différence de ton entre les deux est donc un vrai piège.

La Cie Le Homard bleu ne s’est pas embarrassée de telles subtilités. Un unique protagoniste, George Dandin, fait le passe-muraille d’une pièce à la suivante, présentées comme une seule et même histoire. Les metteurs en scène ont tout passé au Ripolin de la farce dans le Middle West années trente. Leur spectacle repose sur un pari : le rythme enlevé du charleston, l’ambiance festive d’un Luna Park, le cinéma muet et ses images saccadées au stroboscope auront, par leur caractère naturellement entraînant, raison des réticences soulevées par une interprétation iconoclaste. Pas mal du tout, à la vérité, la fête foraine où George / Sganarelle rencontre les figures du Mariage forcé qui, une par une, viennent le convaincre de l’extravagance de son union contre nature. Transposés en femme à barbe, nain comique, mort-vivant de train fantôme, sœurs siamoises diseuses de bonne aventure, les contradicteurs du futur cocu sont drôles et respectent bien l’esprit du texte sinon sa lettre.

Mais qu’allaient-ils donc faire dans ce Far West ?

À mi‑parcours, tout se gâte : silence radio du côté de l’auteur, dont on n’entend plus la voix. Il y a un problème de casting, évident d’abord pour le premier rôle. Non que Benjamin Duc manque de talent. Mais ce jeune homme svelte, aux traits fins, au parler policé, dont la petite moustache capte très comiquement la lumière pour faire un Charlot convaincant dans les moments de cinéma rétro, n’a ni la lassitude physique du mari trompé ni la carrure du laboureur. Faute de voir l’homme fruste, usé et abusé, on n’arrive pas à l’entendre non plus. Ensuite, le principal ressort de ces comédies étant l’opposition entre tendrons et barbons, entre rustauds et nobles, il est difficile de s’accommoder de parents copains de promo de leur fille même si Anne‑Sophie Liban a, dans le rôle de Madame de Sottenville, un ton d’autorité qui rattrape un peu l’affaire.

D’une manière générale, le Dandin n’est pas la pochade de foire qu’on veut nous vendre. Le fond de l’erreur tient en fin de compte au choix des États‑Unis comme cadre pour une réflexion sur les rapports entre roturiers enrichis et aristocrates du sang. Penser qu’il n’est ici question que d’argent est réducteur. Le rang, les préséances, les ordres d’Ancien Régime sont les vrais sujets de la pièce. Le Midwest de 1930 est aux antipodes de ces préoccupations‑là : les pauvres y sont des cow‑boys ou des paysans journaliers et les riches, des bourgeois. À la rigueur, la Louisiane des planteurs qui, eux, avaient un mode de vie nobiliaire aurait offert un cadre plus pertinent. Je vais risquer une suggestion à cette troupe pétulante et dont les idées fusent, même si c’est parfois à contresens. Votre tableau de l’Amérique profonde entre les deux guerres mondiales est assez réussi. Pour ce qui est du Grand Siècle français, la copie est à revoir. Gardez le charleston, Chaplin et Keaton et laissez Molière tranquille.

Élisabeth Hennebert


le Mariage forcé de George Dandin, d’après Molière

Par la Cie Le Homard bleu

Mise en scène et adaptation : Matthias Fortune Droulers et Ivan Herbez

Avec : Léa Dauvergne, Benjamin Duc, Matthias Fortune Droulers, Ivan Herbez, Anne‑Sophie Liban, Bertrand Mounier

Collaboration artistique : Lizzy Droulers‑Poyotte et Stéphanie Bargues

Création lumière : Tamara Herbaut

Costumes : Gérard Guégano et Anne‑Sophie Liban

Photos : © Stanislas Liban

Ciné 13‑Théâtre • 1, avenue Junot • 75018 Paris

Métro : Abbesses ou Lamarck‑Caulaincourt (ligne 12)

Jusqu’au 31 décembre 2016, mercredi et vendredi à 21 heures, jeudi et samedi à 19 heures, dimanche à 15 h 30

Réservations : 01 42 54 15 12

Tarifs : de 27,5 € à 14,5 €

Durée : 1 h 20

www.cine13-theatre.com

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