L’enfance, ce continent ignoré
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Pour répondre à une commande des Nuits de Joux qui lui demandait un spectacle jeune public, Charly Marty est allé rechercher dans sa mémoire un livre de sa propre enfance. Cette première intrusion dans le domaine du théâtre pour les petits spectateurs est une vraie réussite.
Le Murmonde, c’est l’histoire de Maurice, dit Momo, enfant unique d’une dizaine d’années, qui rêve, solitaire, dans sa chambre. C’est-à‑dire, comme souvent à cet âge, qu’il parle tout seul en faisant un boucan épouvantable en sautant sur les lits à la poursuite d’Indiens fictifs, en semant un désordre de tous les diables, qu’il invente en direct, qu’il vit. Tout simplement. Au passage, il décide de faire une conférence, à son tour, en lieu et place des savants patentés, sur l’enfance. Mots d’une personne hautement compétente, donc.
On comprend facilement ce qui a pu intéresser Charly Marty dans ce texte : un livre limpide qui parle à hauteur d’enfant, leur rendant plus que leur donnant la parole. Une histoire qui fait la part belle à l’action, nécessaire sur un plateau et, d’une certaine manière, une réflexion sur le théâtre, en tout cas à la sauce Charly Marty.
Voici donc Momo sur scène, seul entre les quatre murs de sa chambre, ou plutôt accompagné de créatures de son invention, tout à fait décidées à le suivre, voire à le précéder dans ses folies douces, quoique, nous l’avons dit, infiniment bruyantes et pourvoyeuses de grand chambardement. S’il nous annonce une conférence, chausse à cette fin son nez de doctes lunettes et semble vouloir s’installer à son bureau, cela ne dure pas longtemps. Il a des fourmis plein les jambes, et ses questions philosophiques, voire métaphysiques, ont besoin de tout l’espace disponible pour se configurer.
L’imagination au pouvoir !
Autrement dit, les éléments nécessaires au théâtre sont présents : mouvements, bruits et même chansons et dialogues… avec des personnages imaginaires qui prennent vie par magie : Momo n’a nul besoin de les convoquer. Ils surgissent comme s’ils étaient ses doubles, son ombre, son jumeau, puis retournent à la clandestinité en rendossant une tenue de camouflage (un horrible mais commode chapeau de lampe et, hop !, voici un lampadaire…) lorsqu’un intrus débarque… Ainsi la conférence de Momo est‑elle à plusieurs reprises interrompue par l’arrivée intempestive d’un pauvre père « fatigué », débordé, qui n’en peut plus d’avoir un rejeton aussi bizarroïde et qui ressemble à s’y méprendre à tous les pères de la terre exaspérés et/ou dépassés par l’énergie envahissante de la jeunesse.
Les décors sont modulables au gré des rêves de Momo, champion du déménagement improvisé, la chambre se transformant et même s’ouvrant sur l’inconnu lorsque l’enfant décolle les bandes qui servent à en délimiter les contours.
Et puis, pour faire théâtre, l’essentiel, ce sont les acteurs, n’est‑ce pas ? Anaïs‑Marie Mazan campe un Momo tout à fait crédible. Elle imite à la perfection la gestuelle des adolescents jusque dans la manière négligente de fermer un tiroir d’un coup de hanche ou de se jeter sur le lit pour regarder en dessous (tous efforts physiques qu’un adulte normal s’épargne…). Elle est drôle, touchante, son visage et son corps expriment mille émotions à l’heure… Son double imaginaire, qu’incarne avec beaucoup de densité Pauline Huruguen, est lui aussi formidable de présence. Quant au père tendre, mais épuisé (Maxime Kerzanet) qui rêverait qu’on s’occupe de lui, qu’on soit attentif à ses besoins de calme, peut-être n’aimerait‑il rien tant que se payer une tranche d’enfance. En tout cas, il parle à tous les spectateurs adultes.
C’est un très joli spectacle qui concerne tous les âges, très drôle et très joyeux, vif, intelligent, un Charly Marty surprenant, mais qu’on attendra également sur ce terrain-là dorénavant. ¶
Trina Mounier
le Murmonde, de Serge Kribus
Le texte est publié aux éditions Actes Sud-Papiers / « Heyoka jeunesse »
Mise en scène : Charly Marty
Avec : Anaïs‑Marie Mazan, Pauline Huruguen, Maxime Kerzanet
Scénographie : Manon Mordacque
Création lumière et régie : Claire Michou
Costumes : Sigolène Petey
À partir de 7 ans
Photos : © Patrice Forsans
Production : Cie Les Indiens
Coproduction : Festival des Nuits de Joux, CAHD, Pontarlier – la Minoterie, Dijon
La compagnie Les Indiens est soutenue par la ville de Lyon
Théâtre de Givors • 2, rue Puits‑Ollier • 69700 Givors
04 72 24 25 50
Le 5 novembre 2016 à 15 heures
Durée : 1 h 10
Le 18 novembre 2016 à 19 h 30 au centre culturel Charlie‑Chaplin de Vaulx‑en‑Velin