« le Syndrome », de Sergio Boris et de l’École supérieure de théâtre de Bordeaux‑Aquitaine, gymnase du lycée Saint‑Joseph à Avignon

« Syndrome » © Christophe Raynaud de Lage

La tentation de l’exil

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Quatorze étudiants de l’École supérieure de théâtre de Bordeaux-Aquitaine restituent avec « el Syndrome » le contenu de leur travail d’improvisation dirigé par le metteur en scène argentin Sergio Boris. Envoûtant.

Dans une scénographie d’échafaudages, de tôles et de meubles de récupération survivent onze jeunes Français. Étrange communauté qui a perdu jusqu’à l’usage de sa langue maternelle. Ils semblent avoir décidé de ne plus revenir dans leur pays d’origine. Seules des querelles amoureuses, des disputes à propos de la nourriture ou de la musique les animent. Enfoncé dans la misère et la crasse, le groupe se souvient du théâtre qui les réunissait autrefois avant que ne les saisisse ce mal inconnu : celui du désir de ne pas retourner en France. Jusqu’au jour où surgissent dans leur campement trois autres Français porteurs d’un projet théâtral dérisoire. Leur but : inviter le groupe à s’extraire de son isolement et de sa nostalgie. Réussiront-ils ? Mais pour construire quoi ? Tel est le propos.

Acteur et metteur en scène rompu à l’écriture de plateau, Sergio Boris a tendu à ses jeunes étudiants un miroir fascinant. Celui qui contient le reflet légitime de sa culture argentine et celui qui réfléchit sans concession la culture de ses acteurs. Il en résulte un travail scénique étonnant dans lequel domine surtout une gestion originale du temps dramatique. Sans secousses, de façon quasi reptilienne, Sergio Boris crée un climat hypnotique. En accord avec la teneur principale de son spectacle (la tentation de l’exil), il réussit à suspendre le temps et à imposer une attente indéfinie et indéfinissable proche du théâtre de Beckett. Dans cette durée fictionnelle, les comédiens sont parfaitement à l’aise, font preuve d’une surprenante concentration, quand jouer est plus souvent vivre qu’interpréter. On assiste ému à la naissance d’une très étrange tribu. Paradoxale création d’un groupe d’humains dont on se demande parfois s’ils ne reviennent pas d’entre les morts pour chercher à construire une société nouvelle.

S’oublier dans la langue des autres participe aussi de l’intérêt du spectacle el Syndrome. Les acteurs, qui ont tous appris à maîtriser l’espagnol, servent impeccablement l’idée fraternelle centrale. Malgré la faim, les accès de violence, les assauts du désespoir, ils parviennent à dissoudre dans la langue d’autrui l’amertume de leurs origines. Et ici, si on a fait le choix de parler l’espagnol, c’est qu’on se souvient que l’Amérique latine est le continent de bien des utopies révolutionnaires. En faisant de ses comédiens les héritiers de sa culture, Sergio Boris trace un geste d’une humanité indispensable. Parler la langue d’autrui donne une chance de devenir autre.

Quelques évidences tristes

El Syndrome contient également, et il fallait s’y attendre de la part d’un groupe d’étudiants de théâtre, un discours sur… le théâtre. C’est aussi une partie passionnante du spectacle où sont énoncées de façon légitime quelques évidences, hélas tristes, sur l’état de la production théâtrale en 2015 : baisse des subventions, exaltation hypocrite de projets précaires, portraits au vitriol justifiés des technocrates du ministère de la Culture. Rien n’est moins sûr que le choix de l’exil soit le meilleur pour redonner sens et envie aux entreprises d’une nouvelle génération d’acteurs. L’avenir des élèves-comédiens de Bordeaux se trouve-t-il dans la pampa argentine ?

Au final, on retiendra l’excellente performance collective des jeunes acteurs en mal de défis et d’utopies. Sous la conduite de Sergio Boris, ils savent se tenir à l’écart du narcissisme complaisant repérable bien souvent dans certains travaux d’école. Puissent-ils grâce à cette expérience se souvenir que l’esprit de troupe est l’un des garants de la réussite de leur travail !

Merci à Catherine Marnas, directrice de l’École supérieure de théâtre et du centre dramatique national de Bordeaux-Aquitaine, d’avoir inspiré et initié ce beau projet. 

Michel Dieuaide


le Syndrome, de Sergio Boris et de l’École supérieure de théâtre de Bordeaux-Aquitaine

Conception et mise en scène : Sergio Boris

Scénographie et costumes : Gabriela Aurora Fernandez

Assistanat à la mise en scène : Adrian Silber

Avec les élèves de deuxième année de l’E.S.T.B.A. (3e promotion) : Jérémy Barbier, Yohann Bourgeois, Raphaël Caire, Clémentine Couic, Simon Delgrange, Alyssia Derly, Annabelle Garcia, Anthony Jeanne, Ji Su‑jeong, Pierre Magnin, Axel Mandron, Julie Papin, Sophie Richelieu, Malou Rivoallan

Photo : © Christophe Raynaud de Lage

Production : E.S.T.B.A.-Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine

En collaboration avec : le Festival d’Avignon

Production : École supérieure de théâtre / Bordeaux-Aquitaine

Production déléguée : Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine

En collaboration avec le Festival d’Avignon

Avec le soutien du programme Afrique et Caraïbes en créations de l’Institut français (dans le cadre des échanges culturels internationaux Institut français / ville de Bordeaux), de l’Institut français d’Argentine et du ministère de la Culture de la ville de Buenos Aires

Gymnase du lycée Saint-Joseph à Avignon

Représentations : les 8, 9, 10, 11 juillet à 18 heures

Spectacle en espagnol surtitré en français

Durée : 1 h 15

Festival d’Avignon : www.festival-avignon.com

Courriel : festival@festival-avignon.com

Renseignements : +33 (0) 4 90 14 14 60

Réservations : +33 (0) 4 90 14 14 14, de 10 heures à 19 heures

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